Pietro Mascagni (1863-1945)
Depuis le succès extraordinaire de sa création à Rome (à la fin du XIXe siècle, l’œuvre était jouée simultanément dans une centaine de théâtres), Cavalleria n’a jamais cessé de conserver une place de choix dans la programmation mondiale des théâtres d’opéra. Mais il est certain que les représentations en plein air, notamment en Italie, lui apportent un plus, la chaleur du soir, les senteurs suaves, les chants des oiseaux… En DVD, me direz-vous, ça ne passe pas. Peut-être, mais il reste le déploiement scénique, et l’imagination fait le reste. Le présent enregistrement a été capté, et c’est sa plus grande originalité, dans les vestiges des thermes romains antiques de Baia, dans les champs Phlégréens (baie de Naples), autrefois lieu de luxure et de vice encore habité du fantôme de Néron. D’ailleurs, un bonus de 31 minutes, très bienvenu, offre un documentaire touristico-historique pas très original mais qui se regarde sans déplaisir : on y voit non seulement des extraits des répétitions et des interviews, mais aussi les solfatares, l’antre de la sibylle de Cumes, le temple de Sérapis, le cap de Misène, tout en montrant que Cavalleria est également une très bonne musique de fond pour documentaire…
Est-ce à dire que la représentation est à la hauteur de ce lieu mythique ? Les vestiges archéologiques, qui forment des plateaux bien séparés et situés à divers niveaux, se prêtent bien à une représentation d’opéra, qui a été programmée pour la première fois avec ce même spectacle en 2006. Mais la mise en scène de Maurizio Scaparro est sans grand intérêt, car s’il n’utilise pas mal l’architecture du lieu, il ne pratique aucune relecture, et ne fait preuve d’aucune originalité : nous sommes plongés dans la tradition la plus classique. Les chœurs, honorables, en costumes sombres, se fondent dans le décor, à la manière d’une espèce de chœur antique.
La cantatrice hongroise Ildiko Komlosi chante habituellement entre autres Charlotte, Carmen, le Compositeur, Eboli, et Amnéris qu’elle interprète notamment dans deux DVD, mis en scène par Bob Wilson au Théâtre de La Monnaie de Bruxelles, et par Franco Zeffirelli à la Scala de Milan. Elle est ici Santuzza, après l’avoir été également à Vérone en 2006. Belle femme, elle a beaucoup de naturel, un excellent style, une voix idéale et musicale pour le rôle, entre soprano lyrique et mezzo, mais elle est trop distinguée pour une paysanne : le sens du drame perd ainsi de sa consistance. De plus, elle a tendance à poitriner, et un vibrato gênant est perceptible au début, notamment pendant l’Alléluia. Le Turiddu du Sud-Coréen Sung Kyu Park se tient, non par son physique ni par son jeu, mais par un style bien adapté, au point qu’il termine avec des sanglots dans la voix, dans la plus pure tradition italienne. Les autres interprètes ne déméritent pas, tout particulièrement Cinzia De Mola et Marco Di Felice.
La direction de la chef d’orchestre Zhang Jiemin est presque trop raffinée, car les finesses qu’elle développe gomment grandement le côté vériste, exacerbé, voire exagéré des sentiments et des événements. De plus, elle manque quelque peu de carrure, de puissance, le côté féminin est trop présent : mais après tout, Cavalleria est-il un opéra masculin ou un opéra féminin ? Je dirais que c’est avant tout un opéra sicilien. Et de fait, il manque les grandes envolées lyriques et la pointe de vulgarité qui siéent aux grands opéras « populaires ». Sans doute la vérité se situe-t-elle entre les extrêmes.
La captation vidéo est correcte, ne seraient les mouvements parfois un peu « scénic-railway » de la caméra automatisée accrochée à une grue, dont certains lâchers vertigineux arrivent parfois à donner le tournis. Une grande variété de plans au sol et un montage bien fait rendent bien compte de la représentation, tant en ce qui concerne l’atmosphère d’extérieur que la multiplicité des espaces antiques. Le livret de quatorze pages offre deux pages en français (bien faites), et six photos de bonne qualité.
Il semblerait que la saison lyrique de Baia ne se renouvelle pas, du moins dans l’immédiat. C’est dommage, car l’expérience, sans être d’un niveau exceptionnel, confirme que la cohabitation de l’opéra avec des ruines romaines est toujours bénéfique pour les deux…
Jean-Marcel Humbert