Certains anniversaires se fêtent en grandes pompes. D’autres, par contre, sont célébrés de manière plus confidentielle. C’est malheureusement le cas du cinquantenaire de la mort de Bohuslav Martinů. Génial et prolifique compositeur de plus de 400 œuvres (384 pièces sont numérotées par le musicologue belge Harry Halbreich – H – auxquelles il faut ajouter toutes les œuvres de jeunesse perdues ou détruites), Martinů compose pas moins de 16 opéras, dans tous les genres, comique ou tragique ; pour la scène, la radio ou la télévision ; en tchèque, français, allemand, italien et anglais. Juliette ou La clé des songes est incontestablement le plus connu, même s’il faudra attendre 2012 pour le revoir sur scène, au Grand Théâtre de Genève.(1)
Martinů naît le 8 décembre 1890 à Polička, village situé aux confins de la Bohême et de la Moravie. Très vite, il manifeste des dons pour la musique et est envoyé au Conservatoire de Prague pour étudier le violon. Renvoyé deux fois de l’institution, il intègre la jeune Philharmonie tchèque avant de partir à Paris où il « étudie » (le mot est fort) avec Roussel. Il reste durant 17 ans dans la capitale française avant d’être obligé de s’exiler aux Etats-Unis lorsque la Seconde guerre mondiale éclate. En 1953, il rentre en Europe où il séjourne à Paris, Nice, Rome et Liestal, en Suisse, où il meurt le 28 août 1959. Pour en savoir plus, les lecteurs francophones se tourneront vers l’ouvrage de Guy Erismann (2), fin connaisseur de la musique tchèque à la plume exquise.
Après la création praguoise de Juliette (3) – en tchèque – Martinů voulut assurer à son opéra une diffusion optimale dans les autres pays et en arrangea trois scènes en vue d’une radiodiffusion française qui n’eut jamais lieu. Il envisagea de les proposer à l’éditeur Eschig, ce qu’il fit ou non, nul ne le sait à ce jour. Quoi qu’il en fut, la publication ne vit jamais le jour et ces fragments ne furent découverts qu’en 2007 par Aleš Brežina, non pas « ami » du compositeur, comme l’écrit Stephane Friédérich dans le Classica n°114, mais très actif directeur de la Nadace Bohuslava Martinů de Prague et compositeur à ses heures. Le présent enregistrement de ces Trois Fragments est la captation live de la création donnée en décembre 2008.
La prestation assurée par Magdalena Kožena et ses acolytes est de très haut vol. La mezzo-soprano tchèque confère au personnage de Juliette un je-ne-sais-quoi d’insaisissable fort à propos (La scène des souvenirs !) et la pointe d’accent tchèque qui colore sa voix est irrésistible -on regrettera tout de même un peu qu’elle n’articule pas mieux sa partie du Finale mais mieux vaut se laisser emporter par le moment… Steve Davislim est un Michel époustouflant dont on admire le placement de la voix et le sens dramatique autant que l’aisance avec laquelle il chante le français. Les rôles secondaires sont également d’une irréprochable perfection tant vocale que dramatique (Frédéric Gonclaves est un Marchand de Souvenir irrésistible). L’Orchestre Philharmonique Tchèque n’a peut-être plus les couleurs de sa grande époque (les années Talích-Kubelik-Ančerl-Neumann et, dans une moindre mesure Běhlolávek), mais donne ici le meilleur de lui même, dirigé avec infiniment de subtilité par Charles Mackerras, à l’aise comme personne avec les couleurs chatoyantes de l’orchestration de Martinů. Pour une intégrale de l’œuvre, c’est également Mackerras qu’il faut écouter dans la gravure un peu plus ancienne disponible chez le même Supraphon.
Nicolas Derny
(1) La Schweizirisches Matinů Gesellschaft a convaincu 5 scènes Lyriques suisses de monter des opéras du compositeur.
La production de Juliette à Genève débutera le 25 février 2012. Plus d’informations sur http://www.martinu.ch/index.html
(2) G. Erismann, Martinů. Un musicien à l’éveil des sources, Actes Sud, Arles 1992
(3) Pour plus d’information sur l’œuvre Juliette http://www.martinu.cz/katalog/martinu/catshow.php?idfield=178&language=en
et http://fr.wikipedia.org/wiki/Juliette_ou_la_Cl%C3%A9_des_songes_(op%C3%A9ra)