Si tout le monde connaît son œuvre pour le piano, ses lieder, sa musique de chambre ou ses concertos, bien peu nombreux sont ceux qui ont approché les grandes pages chorales de Schumann, celles qu’il écrivit pour la scène, pour le temple ou pour l’église. Ces partitions un peu oubliées – et qui n’ont d’ailleurs pas toutes connu plus de gloire du vivant du compositeur – révèlent la face tourmentée de Schumann, les tentatives d’un homme en quête d’inspiration, (« concentrer son énergie sur la musique sacrée, voilà sans doute le but suprême de l’artiste » écrira-t-il), en recherche d’un langage moderne, qui lui soit propre, mais qui ait aussi sa part d’utilité fonctionnelle : à Düsseldorf, Schumann était en charge des célébrations musicales des deux principales églises de la ville. L’écriture de ces années-là (1852-53 pour la messe, 1849 pour les quatre chœurs doubles) ne présente pas le même charme spontané, la même facilité d’inspiration que celle du début des années quarante. C’est tout naturellement vers la tradition allemande, celle de Bach en particulier, que Schumann se tourne lorsqu’il compose sa messe sacrée (l’Agnus Dei est très parlant à cet égard); de nombreuses formes fuguées, un contrepoint savant et une certaine beauté formelle sont sans doute les meilleures qualités de cette musique, plus que le brio, l’originalité ou la richesse d’inspiration. Brahms n’appréciait guère cette messe et tenta de dissuader Clara lorsqu’elle entreprit de faire éditer la partition en 1861.
L’interprétation tout à fait correcte qu’en livrent Les Cris de Paris, desservie cependant par une prise de son fort lointaine, et par conséquent un peu confuse, à quoi s’ajoute encore la réverbération naturelle de l’abbaye de Royaumont, n’aide pas à caractériser l’atmosphère germanique de ces pages sombres. Plutôt que les voix très claires de cette phalange, qui sonnent très « latin », on aurait souhaité plus de mordant dans les chœurs (ils sont pourtant quarante), plus de moelleux à l’orchestre, une expression plus tendue, plus exacerbée, plus romantique en somme. On relèvera cependant la belle prestation de Marianne Crebassa dont le riche timbre de mezzo, très émouvant, se trouve ici en parfaite adéquation avec l’atmosphère une peu austère de la messe. Dans l’opus 141, de trois années antérieur seulement, Schumann plus inspiré livre une musique portée par le texte (Rückert et Goethe, excusez du peu…) pleine de surprises et de subtilité. Ces quatre pièces pour double chœur sont de la meilleure veine, à la fois concises et contrastées, sans fadeur aucune. Ici aussi, le chœur, réduit par la circonstance à cinq chanteurs par pupitre, pourrait rayonner davantage, abandonner une certaine prudence pour se lancer sans crainte dans la richesse contrapuntique de la partition, varier encore plus les couleurs pour faire vibrer la poésie allemande.
Reste que cet enregistrement outre l’excellent texte de présentation de Brigitte François-Sappey, a le mérite de mettre en lumière une musique très peu jouée, que bien des amateurs découvriront avec curiosité.