Si l’orchestration des Biblické písně [Chants bibliques] op.99 est attribuée à Vilem Zemánek – chef d’orchestre tchèque qui dirigea la toute jeune Česká filharmonie [Philharmonie tchèque] de 1902 à 1918 (avec une interruption en 1916-1917) – c’est bel et bien Antonín Dvořák qui arrangea les cinq premiers pour la phalange symphonique. L’entreprise fut initiée en 1895 (soit un an après la composition de la version pour piano) et le recueil, terminé par Zemánek, seulement publiée en 1929, sept ans après la mort de ce dernier. Malheureusement, force est de constater que la version originelle est préférable à celle-ci, qui dilue considérablement la charge dramatique de ces pages sublimes. L’économie de moyens de l’écriture pour piano, d’une efficacité rare, est ici perdue et place le soliste dans un espace où il semble parfois un peu perdu.
Etrangement, c’est dans sa langue maternelle que Magdalená Kožená nous semble la moins expressive. Elle ne profite pas particulièrement des inflexions particulières du tchèque pour colorer ces mélodies comme elle le fera avec le français de Shéhérazade. A n’en pas douter, la mezzo aurait beaucoup gagné à enregistrer ailleurs la version avec piano plutôt que cet arrangement où elle se trouve parfois obligée de forcer un peu la rhétorique dvořákienne. La captation live est-elle en cause ? Une relative déception qui n’enlève rien à la joliesse plastique de cette lecture, même si les bois des Berliner Philharmoniker sont loin d’avoir le côté « fruité » de ceux des meilleurs orchestres tchèques.
De couleurs et d’émotion(s), il en est question chez Ravel. A la scène comme à la ville, Kožena s’exprime dans un français excellent (entre autres langues qu’elle maîtrise à la perfection) et « lit » Shéhérazade de fort belle manière. Cette invitation au voyage est pleine de sensualité naturelle et l’écrin que sculpte Simon Rattle pour la voix de son épouse est somptueux. Sa narration de « Asie » est tout bonnement exceptionnelle (écoutez la manière dont il amène l’explosion orchestrale juste après l’avant-dernière strophe). Pas de doute, l’entente entre le chef et la chanteuse est parfaite et leur interprétation résonne comme un acte d’amour.
Ils semblent également sur la même longueur d’onde au fil des Rückert-Lieder de Mahler, sommets musico-poétique atteints en toute simplicité (celle qui manque aux Biblické písně du début) par des interprètes hors pairs. Et le voyage intérieur de succéder à l’excursion exotique. Kožena semble posséder la maturité vocale idéale pour faire passer toute l’émotion que dégage cette partition qui réunit les âmes blessées que sont Rückert et Mahler. Elle exprime, de sa remarquable diction et de son intelligente sensibilité, toute la puissance de ces textes bouleversants. Et la mezzo de laisser paraître une certaine vulnérabilité qui la rend d’autant plus touchante.
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Love and Longing – Ravel / Dvorák / Mahler | Compositeurs Divers par Interprètes Divers