Rubans et fanfreluches, couleurs vives et contrastées, maquettes de costumes sophistiqués, Frédéric Pineau est un créateur de costumes d’opéra dont l’art paraît en décalage avec les tendances dominantes de ce début de XXIe siècle. Comme le note fort justement Noëlle Guibert : « On dit quelquefois que le beau, le joli, le charmant ne sont plus de mise (…) à une époque qui se regarde dans un théâtre aux idées fortes, mais moroses, voire tragiques ».
Tenant d’un certain « baroque » contemporain, Frédéric Pineau apparaît de fait comme le digne continuateur d’Erté et de Jean-Denis Malclès. Plus proche des grandes revues des Folies Bergères que de Bob Wilson, il utilise plumes, strass et tissus multicolores. Si bien que l’on n’est guère surpris de le voir décorer des revues de music-hall à Paris, et de porter l’élégance et la fantaisie d’un certain « French Touch » à Broadway.
Son éclectisme l’amène à habiller aussi bien Jeanne Moreau qu’Amanda Lear, dont les robes haute couture mêlent « papier de montgolfière, écailles de plastique, cuir de gazelle, fourrures, perles et satin… » (Ici Paris). Cet univers onirique s’adapte à tous les genres, variétés, théâtre, opéra et cinéma, au hasard de rencontres fortuites ou suscitées qui sont le lot de tout créateur. De Gabriel Dussurget à Daniel Mesguich, qui le qualifie de « précieux non ridicule », il collabore donc avec de grands metteurs en scène, quand il ne règle pas lui-même toute l’organisation scénique du spectacle.
L’ouvrage de Cécile Coutin et Noëlle Guibert, conservatrices au Département des Arts du Spectacle de la Bibliothèque nationale de France, présente quelques 110 documents photographiques de maquettes de costumes et de décors, et d’acteurs en costumes, qui donnent une large impression de l’ensemble de l’œuvre de cet artiste atypique. Mais la maquette un peu étouffante du livre aurait pu être allégée afin de mieux mettre en valeur la présentation de dessins souvent foisonnants. Tout est en effet sur le même plan : ainsi, sa création la plus forte et originale, les décors et les costumes de Sweeney Todd, se trouve noyée au milieu d’autres qui peuvent, comme son Cosi Fan Tutte, paraître passéistes une fois sorties de leur contexte.
En revanche, ses créations orientalistes sont bien mises en valeur, et ce n’est que justice car il paraît aussi à l’aise dans Turandot que dans Le Pays du Sourire. L’humour de l’égyptomanie ne lui est pas non plus étranger : il décline avec élégance lotus et papyrus aussi bien au festival Massenet de Saint-Étienne (Cléopâtre, 1990 et Thaïs, 2009), que sur les scènes de variétés de Las Vegas (Pharaoh’s Arena du Luxor Hotel & Casino, et Colosseum du Cæsar’s Palace).
On regrette toutefois que ne soient pas mieux expliqués les principes conceptuels de création de l’artiste, ni ses partis pris esthétiques : une interview aurait été particulièrement bienvenue. De même, la partie décors paraît singulièrement faible par rapport à celle consacrée aux costumes. Enfin, si l’imposante liste de ses productions occupe trois pages en fin d’ouvrage, on aurait aimé qu’y soient joints, le cas échéant, les noms des metteurs en scène associés aux spectacles. Mais tel qu’il est, ce livre est passionnant, et l’on aimerait pouvoir disposer de tels ouvrages sur tous les décorateurs actuels et leur art si éphémère.