Faire découvrir l’opéra : le fantasme de tout amateur d’art lyrique chez qui se niche souvent un Pygmalion désireux de partager et transmettre son irréductible passion. Oui mais comment expliquer la joie, le plaisir, la surprise, la tristesse, l’effroi, toutes ces sensations intangibles et personnelles que procurent la conjonction de la musique, des mots et de la voix ? Comment véhiculer l’émotion, sachant que ce qui touche l’un laisse l’autre insensible ? Comment aussi dénouer les fils enchevêtrés par quatre siècles d’une histoire mouvementée ? Comment enseigner des codes complexes sans ennuyer ? Comment convertir ? Un fantasme et aussi un défi que nombre de livres ont tenté de relever, du dictionnaire, amoureux ou non, aux ouvrages plus pédagogiques, riches d’illustrations et d’explications.
C’est à cette dernière catégorie qu’appartient Opéra-ci Opéra-là dont l’apparence, qu’il s’agisse de la typographie, de la présentation ou de la qualité du papier, n’est pas sans évoquer ces manuels scolaires qui jalonnèrent nos études. Avec néanmoins une approche entièrement originale, non plus alphabétique, chronologique, par œuvres, musiciens ou artistes mais à travers vingt-cinq extraits d’opéras, scènes ou airs, de vingt-cinq compositeurs différents, en partenariat avec le site marchand www.musiclassics.com de manière à pouvoir écouter les morceaux sélectionnés (dans des interprétations obligatoirement discutables : Tebaldi par exemple dans « Vissi d’arte » sans doute parce que Callas avait déjà été retenue pour « Casta Diva »). L’idée est d’inverser le schéma d’enseignement classique ; plutôt que d’aller du général vers le particulier, partir d’un point pour élargir peu à peu le cercle. Ainsi chacun des vingt-cinq chapitres observe la même structure : « L’action » pour commencer qui replace brièvement l’extrait étudié dans le contexte du livret ; « Tendre l’oreille » qui en propose l’analyse musicale puis un parcours historique et culturel autour du compositeur et de son œuvre. Quelques illustrations et encarts détournent le lecteur d’un chemin trop balisé qui pourrait nuire à sa fantaisie.
Le plus difficile dans l’histoire a dû être de sélectionner les 25 « hit opératiques »1 (le terme est employé en quatrième de couverture afin, sans doute, de rassurer le néophyte intimidé). Dans l’introduction, les auteurs, éminents spécialistes de la question lyrique2, préviennent tous les reproches qu’on ne manquera pas de leur faire, expliquant qu’une telle démarche implique des choix, et que, selon l’adage, « aimer, c’est choisir ». On ne comptera donc pas les absents de leur sélection – Donizetti, Gounod, Massenet, etc –, on relèvera simplement la présence inattendue de Léonard Bernstein dont le « Tonight » (West Side Story) achève le tour d’horizon proposé. On se réjouira chez certains musiciens présents de l’originalité des pièces retenues (La rage de Rigoletto, « Cortigiani, vil razza dannata », pour Verdi, placé curieusement entre Tchaïkovski et Puccini) à côté d’autres parti-pris plus convenus (La prière de Tosca, la mort d’Isolde, etc.).
Quel que soit son degré d’initiation, débutant ou mélomane chevronné, on se plongera avec intérêt dans ces vingt-cinq études, savantes mais accessibles, d’une écriture au lyrisme de circonstance (« le son droit et pur d’un hautbois qui fend l’air raréfié » à propos des dernières mesures de « Mild und leise » par exemple). Toutes ne sont pas de la même eau ; on recommandera plus particulièrement la lecture des considérations autour de Vivaldi et l’aria da capo, celle du chapitre Puccini avec un beau portrait de Floria Tosca et plus encore, les pages consacrées à Berlioz tant le texte dépasse ici le commentaire descriptif pour analyser jusqu’à révéler Au gré de son humeur, on explorera des pans de répertoire moins familiers ou l’on rafraichira sa mémoire, contemplant des paysages connus et aimés avec parfois le plaisir vif que provoque la découverte de nouvelles perspectives. Ainsi, on cheminera, suivant pas à pas le sentier tracé ou, au contraire, picorant des miettes de ci, de là ainsi que semble l’engager le titre de cet ouvrage, inévitablement partial et partiel mais instructif.
Christophe Rizoud
1 La liste des 25 extraits sélectionnés et des interprétations proposées peut être consultée en ligne sur le site dédié à l’ouvrage.
2 Dorian Astor a étudié pendant 10 ans le chant classique et baroque au conservatoire d’Amsterdam et s’est produit en concert et à l’Opéra ; Gérard Courchelle est chargé depuis 2001 de couvrir l’actualité classique pour les rédactions nationales de Radio France ; musicologue, maître de conférences à l’université de Rouen, Patrick Taïeb est spécialiste du théâtre lyrique du XVIIIe siècle.