A la même époque que Mahler, Joseph-Guy Ropartz (1864-1955) apporta au problème de la symphonie la même réponse, en y associant des voix, choristes ou solistes. Créée en novembre 1906, sa troisième Symphonie marquait l’apogée de cette démarche. L’œuvre est découpée en trois mouvements, avec un prologue et un finale qui font appel au chœur, le quatuor vocal n’intervenant que dans la partie centrale. Ecrit par le compositeur, le texte n’est pas pire que celui de bien des cantates de la même époque : il y est surtout question de la Nature, invoquée à travers ses diverses composantes, dans le cadre d’un message évangélique sans ambiguïté (« Aimez-vous les uns les autres », entonnent les solistes, « Aimons-nous les uns les autres », reprend le chœur). C’est, selon les auteurs du livret d’accompagnement, une invitation dreyfusarde « à la réconciliation, au dépassement de soi et à la stupéfiante alliance de la Vérité, de la Justice et de l’Amour ».
Dans l’invocation de la « Mer calme » à la « caresse insoucieuse », l’opulent timbre d’Elodie Méchain est le premier que l’on entend, très vite rejoint par les autres solistes. La Plaine qui « frissonne de volupté » est appelée par le ténor : Marc Laho a une voix solide à défaut d’être charmeuse, mais ce n’est pas vraiment de séduction que l’on a ici besoin. La Forêt dont l’âme joyeuse « palpite dans les feuillages » échoit à la soprano, et Isabelle Philippe offre un timbre qui a pris de la chair depuis ses tout premiers rôles en scène. Le « Soleil qui resplendit » est paradoxalement confié à la basse ; Jean Teitgen, plus connu dans le répertoire baroque, s’y montre aussi lumineux que possible. Mais on peut à peine parler de solistes, puisque les voix ne cessent de se superposer et de s’entrelacer, sans que l’oreille isole tel ou tel interprète. Et le message de charité chrétienne étant ici primordial, il serait malvenu que l’un des membres du quatuor tire la couverture à soi. Sans démériter, les trois chœurs amateurs réunis pour l’occasion ne sont sans doute pas au niveau qu’atteindrait dans cette musique un ensemble professionnel, notamment en termes de clarté de diction.
Si cette symphonie-oratorio revit ici admirablement, c’est beaucoup grâce à l’orchestre et à Jean-Yves Ossonce, qui dirigeait déjà pour Timpani en 2002 l’enregistrement de l’unique opéra de Ropartz, Le Pays (1912), dont il a mené à bien la résurrection scénique à Tours en janvier 2008 (en fait, Le Pays avait déjà été monté à Reykjavik en 2006, et pour cause : il n’y a pas tant d’opéras qui se déroulent en Islande !). Le chef français a aussi enregistré pour Hyperion les quatre symphonies de Magnard, grand ami de Ropartz ; leurs univers musicaux se ressemblent assez.
En 1985, pour EMI, Michel Plasson avait enregistré cette symphonie, à la tête de l’orchestre du Capitole de Toulouse et de l’Orféon Donostiarra, avec une lenteur toute plassonienne – l’œuvre dure près de dix minutes de plus ! – et avec un quatuor de voix plus lourdes et peut-être moins bien accordées entre elles. Disciple de César Franck, adepte du wagnérisme à la française, Ropartz méritait bien cette nouvelle version, car il n’a nullement à rougir de la comparaison avec les plus grands de ses contemporains, français ou étrangers. On en redemande, et on voudrait maintenant voir programmés dans les concerts cette symphonie, les Psaumes et les Messes du compositeur breton, ou son Miracle de Saint-Nicolas, pour solistes, chœur et orchestre (1905).