Faut-il quand on s’appelle Giordano et que l’on est ténor chanter obligatoirement des airs d’opéra du compositeur homonyme ? Andrea Chénier, pour ne citer qu’un de ces opéras, appartient à une école, dite vériste, qui n’est pas réputée pour son indulgence vocale. Le chanteur, promu lirico spinto, doit ajouter aux habituelles exigences de timbre et de tenue, une puissance suffisante pour surmonter l’orchestre et triompher d’une écriture dont la tension se veut expression. Prendre du muscle sans perdre la ligne, en résumé. Ce privilège que l’on croyait réservé aux lecteurs de Men’s Health appartient aux plus expérimentés. On ne nait pas lirico spinto, on le devient. Combien se sont brûlés les ailes à vouloir griller les étapes. Aussi est-on toujours inquiet quand on voit un chanteur se lancer avec générosité dans un répertoire qui n’est pas forcément à sa portée.
Né en 1971 en Italie, Massimo Giordano écume les scènes depuis une quinzaine d’années. En 2006, Manon de Massenet avec Renée Fleming diffusée en direct du Met dans le monde entier, le projette sous le feu des projecteurs. Depuis, il mène son petit bonhomme de chemin sans faire autant d’étincelles que certains de ses congénères. La signature l’an passé d’un contrat d’exclusivité avec le label BMG semble marquer un tournant dans ce parcours poulidorien. Aminci, vêtu de lin, Massimo Giordano arbore désormais la barbe de trois jours et le regard velouté des latin lovers. Ce nouveau look impose-t-il d’aborder, bille en tête, un programme qui ajoute à Giordano donc, Puccini, Cilea et le Verdi de la maturité ?
Non content d’enfoncer les portes déjà ouvertes – et comment ! – par ses illustres ainés, notre ténor risque de mettre en péril un chant dont la séduction est indéniable. Il est alors tentant de jouer les Cassandre et de relever, de ci, de là, les premiers signes d’égarement : le vibrato envahissant, l’aigu indécis, le défaut de relief. Mieux vaut s’attarder sur ce qui rend ce premier récital discographique attachant. La manière naturelle d’abord avec lequel Massimo Giordano s’empare de ces airs glorieux, sans essayer de se gonfler d’importance, ni d’en faire une démonstration de force. Quelques nuances bienvenues traduisent la volonté d’interprétation. Gabriele Adorno, l’anti-héros de Simon Boccanegra, peut ainsi se détacher du lot, sensible dans ce que l’on perçoit de fragilité derrière la recherche de contrastes, juste par l’usage des couleurs, vrai tout simplement. Chez Puccini, Pinkerton apparait plus plausible que Calaf et des Grieux car moins héroïque. Dans Tosca, « E lucevan le stelle » réussit son effet quand « Recondita armonia », au contraire, se traîne, victime pour le coup d’un excès d’intention et d’une direction d’orchestre poussive. Ponchielli et Cilea sont hors-jeu. Tant de ténors ont offert davantage dans ces airs usés d’avoir trop été chantés. Et Giordano ? Andrea Chénier, tout comme Fedora et la trop rare Marcella, confirment ce que l’on savait : on n’est jamais trahi que par les siens.