Ne choisir que trente concerts ou productions lyriques pour illustrer l’aventure des Arts Florissants est une vraie gageure, à laquelle ne se bornent d’ailleurs pas les auteurs, fâchés avec les chiffres ou plus probablement trop épris de leur sujet. William Christie et les Arts Florissants, 30 années en images annonce trente moments forts, mais en aborde en réalité trente-trois, depuis le Fils prodigue de Charpentier (1979) jusqu’à la Zampa de Hérold (2009), en passant par Les Indes galantes de Serban (2003) et la Dido & Aeneas réenchantée par Deborah Warner (2006) dont des tableaux jalonnent également l’entretien accordé en 2009 par William Christie à Catherine Massip et Gérard D. Khoury.
De fait, pour ces derniers, l’histoire des Arts Florissants semble se confondre avec la success story et avec la personnalité de leur fondateur, ce qui n’est bien sûr pas faux, mais sans doute un peu réducteur. Le livre s’ouvre d’ailleurs sur un extrait du discours prononcé par Hugues Gall lors de la réception de William Christie à l’Académie des beaux-arts le 27 janvier 2010, une consécration sur laquelle revient plus tard Jean Guéguinou, lequel présidait le Comité de l’Epée du nouvel académicien et se souvient du concert donné le jour même salle Favart. Plutôt que de donner la parole à d’autres artistes qui ont aussi contribué à forger l’identité et le son des Arts florissants ou à des partenaires d’élection de l’ensemble, metteurs en scène ou musiciens, Gérard D. Khoury nous propose un second entretien, mais un entretien croisé cette fois, mené en 1993 avec William Christie et Georges Duby sur les sources historiques, les manuscrits musicaux et le rôle de l’imaginaire dans leur interprétation. En outre, si cinq pages sont réservées au Jardin des Voix, deux se limitent en réalité à présenter une photo de groupe de la dernière édition et l’inventaire des chanteurs qui ont composés les différentes sessions depuis sa création en 2011. Par contre, une dizaine de pages sont dévolues à un autre jardin, surnommé « le jardin du rêve » par Henry-Claude Cousseau dans le beau texte qu’il lui consacre: le jardin de Thiré, en Vendée, créé de toutes pièces par le chef autour d’une « ruine amoureusement restaurée » (H. Gall) et transformée en havre. Les quelques prises de vue, hélas réalisées en automne, laissent néanmoins deviner la féérie du lieu. Ceux qui, comme nous, ont eu la chance de s’y promener, ont l’impression d’avoir découvert l’éden, un éden artistement composé, éclectique, inventif sinon extravagant, mais toujours harmonieux.
Toutefois, loin de toute anecdote, ce chapitre sur Thiré complète idéalement le portrait que dessine l’ouvrage, celui d’un homme pétri, pour reprendre ses propres termes, par « la vieille culture humaniste » qu’il admire tant, déplorant au passage la régression de notre époque en matière de culture générale. William Christie embrasse le Grand siècle comme celui des Lumières dans toutes ses manifestations artistiques et culturelles, il réinscrit la musique dans son contexte, dans son vivier. Il s’intéresse à l’architecture, à la peinture, à l’ébénisterie et se passionne pour les jardins et la botanique – il leur aurait sans doute consacré sa vie, nous confia-t-il un jour, s’il ne l’avait pas vouée à la musique. Mais le ton n’est pas ici à la confidence, ce n’est pas dans la manière de l’homme, pudique et qui, il y a vingt ans, cherchait même à s’effacer complètement, redoutant le rôle de la personnalité dans l’interprétation et poursuivant une chimérique pureté.
Un texte, généralement extrait du programme de salle de l’époque, introduit chaque production. Par contre, si l’iconographie se révèle souvent de grande qualité, elle s’avère nettement plus abondante pour certains spectacles que pour d’autres, certains n’en bénéficiant tout simplement pas. Comment les auteurs ont-ils procédé à la sélection des moments forts qui ont jalonné ces trois décennies? Ils n’en disent malheureusement rien. Certes, de nombreux choix s’imposaient d’eux-mêmes, à commencer par celui d’Atys (1987) dont la reprise cette saison à l’Opéra-Comique a renouvelé le miracle, mais également Die Zauberflöte vue par Carsen (1994), Il ritorno d’Ulisse de Noble (2000) ou encore Il Sant’Alessio de Lazar (2007). En revanche, Haendel, qui figure pourtant au panthéon personnel de Christie, nous semble moins bien servi. Ne retenir que l’Alcina de Carsen pour l’année 1999 en omettant la Theodora montée par Sellars à Glyndebourne, une production exceptionnelle à tout point de vue et qui a marqué le deux cent cinquantième anniversaire de la mort du Saxon, est une option pour le moins discutable. Nous avons également du mal à comprendre que l’éditeur ignore le brillantissme Giulio Cesare de Mac Vicar à Glyndebourne (2005), autre réussite immortalisée en DVD. A contrario, on se demande si les austères clichés pris lors de concerts du Messiah (1992) et de L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato (2001) ont bien leur place dans un ouvrage qui mise avant tout sur le choc des photos. Autres absents notoires: l’Orlando d’Aix (2003, Carsen) et l’Hercules de l’ONP (2004, Bondy) alors que la Sémélé aixoise de Carsen (1996), reprise onze ans plus tard à Zürich avec Bartoli, doit se passer de toute illustration…
Cet album de souvenirs se referme sur des biographies de William Christie et des Arts Florissants, une discographie et une bibliographie, des remerciements d’usage mais ne contient pas de table des matières ni aucune présentation des principaux intervenants (Massip, Khoury, Cousseau), menu défaut d’une publication hagiographique, mais néanmoins attachante.
Bernard SCHREUDERS