Gerald Finley a-t-il une voix pour le lied ? Ce disque pose une fois de plus la question. Dans les deux Liederkreis de Schumann et le plus rare Liederbuch eines Malers, il démontre assurément une sensibilité au mot et à l’accent plus d’une fois inouïes. Il n’est pas de détail qui lui échappe. Ce n’est pas qu’il connaît seulement les moindres recoins de ces cycles : il en sent profondément la texture verbale. Il sait que le rallentendo sur « phantastiche Nacht » produit un effet d’allitération presque magique. Il sait que les trilles sur « keiner mehr » ne sont rien d’autre que l’écho d’une vieille chanson. Il nous fait entendre tout cela, comme il nous fait entendre les effets de lointain de « Berg’ und Burgen », et l’espèce de glaciation d’ « Auf einer Burg ». C’est, il faut le dire, assez merveilleux.
Pourquoi alors des réserves ? C’est sans doute un peu absurde, mais Gerald Finley a une voix presque trop belle pour ces cycles. A force d’homogénéité, de douceur, d’égalité des registres, de galbe, il dilue l’effet souvent navrant de ces lieder dans quelque chose comme un hédonisme vocal hors de propos. En particulier, les notes graves sont émises avec un creux parfait, un moelleux impeccable : elles sont, en sommes, posées ; c’est joli, mais ce n’est pas cela qu’on attend ; on attend que la voix s’alourdisse, s’obscurcisse, et non qu’elle nous démontre la qualité de son registre grave. Cela dérange vraiment dans « Waldesgespräch » où pas un instant la voix ne se tend ni ne se déchire, dans « Warte wilder Schiffmann », et dans tant de passages où à l’amertume se substitue le confort douillet d’une voix uniment chaleureuse.
Il est, certes, de pires défauts. Mais le lied en somme n’est pas seulement un art de l’expression. C’est aussi une technique particulière, où la voix parlée sans cesse affleure, où la joliesse du chant doit céder à la pertinence de l’accent. Musicien de haut vol, Gerald Finley n’a pas encore renoncé à ses prestiges vocaux. Il lui faudra peut-être s’en dépouiller, ou que le temps se charge de l’en priver, pour devenir un tout grand chanteur de lied.