Decca réédite, sous la forme d’un avenant coffret de 2 CD accompagnés d’un disque Blu-ray, la Tosca viennoise enregistrée par Herbert von Karajan en 1962, bien connue des discophiles.
Les premiers accords de l’ouverture donnent le ton : cette Tosca est d’abord celle d’une opulence orchestrale presque indécente, d’un hédonisme sonore poussé très loin. C’est le fruit de la rencontre entre un chef, un orchestre et un producteur. Le chef, Herbert von Karajan, se trouvait en ce début des années 60, au zénith d’une carrière qui fit de lui, selon la belle formule d’André Tubeuf, le Generalmusikdirektor du monde. Sa direction avait alors atteint, pour une décennie proprement miraculeuse, l’équilibre idéal entre la fougue du théâtre et l’hédonisme du son. L’orchestre philharmonique de Vienne, confié à une baguette aussi experte, ne demandait qu’à magnifier ses qualités premières : c’est un festival de beau son, entre la rutilance épanouie des cuivres et les diaprures ensorcellantes des cordes (écouter au II les mesures qui suivent l’échange « Floria… Amore » au retour de Mario auprès de Tosca, après avoir subi la torture depuis sa cellule)… On ne sait qu’admirer le plus. Cette fête sonore doit beaucoup aux talents du producteur John Culshaw, figure incontournable de l’histoire du disque lyrique, aux côtés de Walter Legge. Un véritable metteur en scène sonore est à l’oeuvre ici : il suffit pour s’en convaincre d’écouter la magistrale restitution du Te Deum à la fin de l’acte I, pris à un tempo inhabituellement lent. Assisté d’une équipe de preneurs du son imbattables, on lui doit une prise de son d’une qualité exceptionnelle un superbe exemple du Decca sound, à juste titre rentré dans la légende et magnifié – si besoin était – par le remastering opéré pour la présente réédition.
Fort heureusement, les attraits de cette Tosca ne se limitent pas à l’orchestre et au chef. La distribution est à la hauteur, à une exception près – on y reviendra.
La couverture de la pochette d’origine – reprise ici – dit tout : elle place Leontyne Price à l’honneur, et ce n’est que justice. Voilà une Floria Tosca d’abord vocale, qui n’est qu’opulence, et dispose de moyens illimités, sans toutefois oublier le théâtre: une lionne, parée des plus beaux atours. Si l’on accepte une fois pour toutes de placer Maria Callas hors compétition dans ce rôle, voilà sans doute une des incarnations les plus abouties de toute la discographie.
Face à elle, le Scarpia campé par Giuseppe Taddei soutient la comparaison sans pâlir : vocalement plus orthodoxe que Tito Gobbi, disposant de la plénitude de sa splendide voix de baryton, il sait, lui aussi faire vivre le drame en se montrant tour à tour insinuant, cajolant, féroce et cruel. Une incontestable réussite.
On déchante hélas avec le Cavaradossi de Giuseppe di Stefano. L’enregistrement de 1953, avec Callas, exposait déjà crûment son indéniable générosité mais aussi ses non moins indéniables limites vocales. Neuf ans plus tard, sans surprise, la situation ne s’est pas arrangée. La voix plafonne dangereusement, notamment dans le registre aigu, systématiquement abordé « par derrière », les voyelles sont excessivement ouvertes, et plus d’une fois on frise l’accident…
On se console, heureusement, avec les seconds rôles, distribués avec soin, à commencer par le Sacristain irrésistible campé par Fernando Corena.
Cette réédition soignée permet en définitive de confirmer la place de cet enregistrement sur les plus hautes marches d’une discographie pourtant pléthorique.