Ce n’est sans doute pas totalement par hasard si Torvaldo e Dorliska n’a pas reçu lors de sa création un accueil meilleur que froid. Les longueurs de cet opéra à sauvetage ne sont en effet pas toujours divines même si, à 23 ans, Rossini avait déjà suffisamment fait ses preuves pour ne pas craindre un échec. De fait, Stendhal, qui jugeait l’œuvre médiocre, soulignait qu’elle « ferait la réputation d’un maestro ordinaire, mais n’ajoute rien à celle de Rossini »…
Opéra à sauvetage en effet, car il est difficile de ne pas penser à Fidelio en suivant la trame du livret de Cesare Sterbini, tiré des Amours du Chevalier de Faublas de Couvray, qui avait déjà servi à Cherubini et à son librettiste Loraux pour Lodoiska. Un gros méchant (le duc d’Ordow) convoite Dorliska qu’il réussit à capturer et entend l’épouser quitte à l’y forcer. Il croit pour parvenir à ses fins avoir tué l’époux de la belle, Torvaldo, laissé pour mort dans un ravin. Le serviteur du duc et gardien du château, Giorgio, mi-serio, mi-buffo, n’en peut plus des vilénies de son maître et monte une conjuration pour le faire arrêter. Il tombe sur Torvaldo, qui n’était pas mort du tout, et le fait entrer déguisé en bucheron au château. Mais le duc le démasque et le fait enfermer, au grand désespoir de Dorliska, qui continue de se refuser au bourreau. Au moment où celui-ci va enfin se décider à éliminer son rival pour de bon, les conjurés envahissent le château in extremis et c’est le duc qui se retrouve enfermé, laissant Giorgio, sa sœur Carlotta et le couple enfin réuni célébrer leur joie libératrice.
En août 2006, le festival de Pesaro présentait une nouvelle production de cet opéra semiserio dans le petit mais charmant théâtre Rossini de la ville. Ce spectacle avait d’abord été publié par Dynamic en CD et sera repris plusieurs fois jusqu’en 2017 avec des distributions renouvelées. La restitution en DVD, parue l’année suivante est aujourd’hui intégrée à un coffret, Rossini serio, avec 6 autres oeuvres.
Cette réédition permet de redécouvrir la mise en scène astucieuse et classique de Mario Martone, qui, avec le décorateur Sergio Tramonti, a imaginé un dispositif scénique qui utilise et optimise la petite salle et agrandit la scène, quitte à couvrir les deux tiers de l’orchestre. Cela permet de donner un peu de mouvement et de respiration à l’œuvre et à la direction d’acteurs –par ailleurs assez sommaire disons le- un minimum d’intérêt. Malgré une bonne qualité d’image et de réalisation, on passera toutefois sur les défauts du montage, qui aurait pu être un peu plus soigné.
La distribution est le principal atout de cette production. Michele Pertusi, qui en fait des tonnes en méchant-vraiment-pas-content offre un chant idéal et puissant, dont on aurait pu attendre plus de noirceur, mais qui séduit par sa souplesse et son engagement. Son serviteur fatigué, Bruno Praticò, est irrésistible dans ses passages bouffes mais donne à entendre un timbre singulièrement clair dès son air d’entrée. Sa présence scénique et les astuces que connaissent les gens au métier sûr, lui permettent néanmoins de tirer aisément son épingle du jeu. Jeannette Fischer, qui incarne sa sœur Carlotta, réussit fort bien ses interventions, en particulier son air « Una voce lusinghiera », assez sonore. On mentionnera également pour mémoire l’Ormondo de Simone Alberghini, dans un rôle assez inconsistant.
Darina Takova, soprano bulgare qui a dû déserter les planches à la suite de problèmes de santé et qui enseigne aujourd’hui à Sofia, ne cesse de prendre de l’envergure durant la représentation, après des débuts assez tendus, notamment dans les aigus. Si son jeu scénique est quelque peu minimal, sa voix très ample trouve à s’épanouir dans ses quelques airs –notamment « Tutto è vano » au premier acte- ou dans les ensembles. Quant au Torvaldo de Francesco Meli, alors au début de sa carrière, si l’on reconnaît le timbre qui aujourd’hui fait florès dans le répertoire verdien notamment, on en perçoit aussi les tensions dans les aigus et quelques limites dans le registre bas dès son air d’entrée. Mais les nombreuses nuances dont il se montre capable, de même que sa puissance, emportent sans peine les suffrages de la salle.
On aurait aimé cependant un orchestre plus enflammé, avec une direction moins empruntée. On ne peut en effet vraiment pas dire que Victor Pablo Pérez, spécialiste des zarzuelas, mette le feu à la fosse ; pas plus qu’il n’insuffle d’élan à un chœur de chambre de Prague bien sage. Mais ne boudons pas notre plaisir : l’œuvre est trop rare au disque et le plateau bien trop honorable pour faire la fine bouche.