Comment apporter un peu de diversité dans la discographie pourtant foisonnante des Dichterliebe de Schumann ? Terrain de chasse gardée des ténors ou des barytons légers, seules quelques rares voix de femmes se sont risquées dans l’enregistrement du cycle pourtant créé par la chanteuse Schröder-Devrient. Imaginons alors le pavé dans la mare que représente cet enregistrement. Yaniv d’Or fait partie des rarissimes contreténors s’étant approprié le cycle au point d’en oser l’enregistrement (songeons également à Paul Esswood qui tenta l’exercice plus d’une vingtaine d’année auparavant).
Dichterliebe pour contreténor : est-ce une raison suffisante pour se permettre de graver un CD ? Il faut avouer que l’expérience nous laisse sur notre faim. Même si le médium de la tessiture offre quelques couleurs chaudes, le timbre du chanteur israélien ne convainc pas franchement : aigus difficiles, voyelles ouvertes tombant à plat… De plus, sa tessiture plus réduite que celle des voix auxquelles nous sommes habitués dans Schumann oblige quelques transpositions anarchiques venant casser le parcours tonal imaginé par le compositeur (exemple dans la transition entre « Ich grolle nicht » et « Und wüssten’s die Blumen »). L’Allemand n’est probablement pas non plus le point fort du chanteur, puisque nous évoluons dans un cycle où toutes les voyelles se ressemblent, et où les consonnes peinent à venir ponctuer un discours en manque de nuances. Car rien dans l’intention musicale ne distingue vraiment l’écriture intimiste de « Hör ich das Liedchen klingen » des accents héroïques de « Die alten bösen Lieder », et il ne faut pas compter sur le piano trop peu inspiré de Dan Deutsch pour arranger les choses.
Pourquoi le tableau que nous dressons est-il si alarmant ? Peut-être simplement parce que ce cycle n’est tout bonnement pas compatible avec une telle tessiture. De même qu’une basse ne s’emparera probablement jamais de Frauenlieben und -leben, l’expérience d’un contreténor dans Dichterliebe demeure un cas scientifiquement intéressant, mais qui doit encore faire ses preuves musicalement.
Pour combler le temps d’écoute de l’enregistrement, nous basculons assez violemment dans la musique française pour retrouver pêle-mêle Debussy, Duparc, Poulenc ou Hahn (le rapport avec Schumann n’est pas encore établi mais nos meilleurs experts planchent sur la question). Dommage car l’expérience de Frauenliebe und -leben aurait justement pu être intéressante. Constatons néanmoins que la musique française va peut-être un peu mieux au tandem. La prononciation laisse cependant toujours autant à désirer, et les mélodies du jeune Debussy sont plus chlorotiques que colorées, tandis que le Bestiaire n’amuse plus grand monde.
Les curieux d’expériences vocales inédites se laisseront peut-être tenter par une écoute, mais cette proposition peine à convaincre réellement les oreilles moins tolérantes.