« La Scène Lyrique, échos et regards » titre le numéro 228 de la revue trimestrielle Théâtre Public, prétexte à vagabondage et entretiens désordonnés autour de l’opéra sous un angle d’abord théâtral. Peu ou pas de chanteurs, quelques compositeurs – Philippe Boesmans, Philippe Manoury… –, un chef d’orchestre – Christophe Rousset – et des metteurs en scène en majorité – Jean-François Sivadier, Benjamin Lazar, Jeanne Candel, Samuel Achache, Richard Brunel, David Lescot, etc.
En ouverture, dans une tribune en forme de brillant vade-mecum, Timothée Picard veut tordre le cou aux idées reçues qui pèsent aujourd’hui de tout leur poids sur le genre : élitisme, conservatisme, archaïsme… Pourtant, à lire la vingtaine d’article qui composent la publication, le propos ne se dépare pas d’un intellectualisme impropre à estourbir le préjugé de pratique mandarinale. A qui s’adressent ces récits entrecoupés de considérations parfois discutables si ce n’est aux initiés ? Chacun se raconte, chacun s’écoute sans chercher à se mettre à la portée du profane et sans qu’un enseignement ne soit tiré de cette somme d’expériences individuelles. Echos et regards, oui, sur le nombril scénique et parisianiste de l’art lyrique. Si l’on a vu les spectacles traités, l’on trouvera un intérêt certain à déambuler dans la coulisse. Sinon, il y a des chances que l’on ne finisse par se détacher de l’essentiel pour s’attacher au détail.
Ainsi, découvre-t-on, référence à l’appui, que Semiramide dans l’opéra de Rossini peut avoir « la voix d’un contralto aussi bien que d’un contre-ténor », le compositeur ayant prévu la première option mais les théâtres ayant souvent recours à la seconde (sic). Sans doute ne parle-t-on pas ici de Semiramide mais de son fils, Arsace, toujours confié à un contralto, un seul contre-ténor ayant chanté sur scène le rôle depuis la création de l’œuvre : Franco Fagioli à Nancy. Deux erreurs en une phrase dès le premier paragraphe : voilà de quoi discréditer le seul article consacré à la voix.
Plus loin, on est surpris de lire en note de bas de page : « Que les féministes ne s’en offusquent pas ! Le masculin sera employé au sens générique (« un assistant », « un metteur en scène », « un lieutenant »…) pour éviter les lourdeurs de la langue dite inclusive (« un.e assistant.e », etc.) » Faut-il dorénavant s’excuser d’écrire correctement le français ?
Que l’on nous pardonne notre mauvaise humeur, motivée – avouons-le – par l’interview de Philippe Martin, directeur des films Pelléas, et responsable à ce titre de la 3e Scène, cette plate-forme numérique, imaginée par la direction actuelle de l’Opéra national de Paris, où « des artistes partagent leur vision de l’opéra à travers une série de court-métrage » sans avoir réussi pour l’instant à nous convaincre du bien-fondé de ce nouveau média. Pour cause, Philippe Martin reconnaît que le projet n’a pas de « stratégie prosélyte » (comprendre qu’il ne s’agit pas d’amener à l’opéra un public issu des classes populaires). Pourquoi alors une 3e scène ? Au fil de la conversation, tandis que défilent quelques-uns des lieux communs nuisibles à l’art lyrique – « les fastes de l’opéra », « l’opéra, une expérience conservatrice » – l’on apprend que l’entreprise est financée à 80% par le mécénat, ce qui signifie in fine 20% à la charge du contribuable, et l’on comprend qu’il s’agit d’inventer une nouvelle forme artistique, fille du cinéma et de l’opéra. Est-ce là une mission de l’Opéra national de Paris qui en a par ailleurs déjà pas mal à mener, la défense de son répertoire étant celle qui nous semble la plus importante et aujourd’hui la moins assumée ?
Plutôt cependant que refermer la revue sur un mot de fâcherie, on empruntera à Timothée Picard sa conclusion, d’un optimisme réconfortant : « De ce parcours, il ressort quoi qu’il en soit que l’opéra, monde complet parmi les mondes possibles, et quintessence du monde réel dont il offre un reflet stylisé, non seulement apparaît comme à même de relever les défis du monde contemporain, mais encore en représente un mode d’accès et de compréhension privilégié. »