Argent fut-il jamais mieux utilisé que celui que Madame Nicole Bru a investi dans la création du Centre de musique romantique française, mieux connu sous le nom de Palazzetto Bru Zane ? Depuis dix ans, les mélomanes n’ont-ils pas mille raisons de dire merci à un mécène dont la générosité s’exerce au profit d’un répertoire jusque-là négligé ? Le coffret rétrospectif publié par le PBZ pour souffler ses dix bougies permet mieux que jamais de mesurer tout ce que nous a apporté le CMRF, pour employer un acronyme jamais ou rarement usité. En dix disques, il couvre en effet tous les domaines dans lesquels les résurrections ont été multipliées. Et si personne n’a jamais prétendu qu’il n’y a dans toutes ces redécouvertes que d’impérissables chefs-d’œuvre de premier plan, il faut bien reconnaître que la sélection opérée en donne une image diablement séduisante et inspire le furieux désir d’écouter ou de réécouter les œuvres dont sont tirés ces divers extraits, la plupart de ces enregistrements ayant en leur temps fait l’objet d’un compte rendu sur Forum Opéra.
Sur ces dix galettes, la voix a la part belle, comme on pouvait s’y attendre : deux CD pour l’opéra, un pour l’opérette, un pour la cantate, un pour le répertoire sacré (le plus souvent vocal), et un pour la mélodie, les quatre derniers étant consacrés à la musique instrumentale. Et encore, même là, on trouvera un lien avec l’opéra, puisque le volume orchestral inclut l’ouverture de La Perle du Brésil de Félicien David, et la « danse espagnole » du Tribut de Zamora. Sans en jurer, il semble bien que tous les disques auxquels le PBZ a été associé depuis dix ans soient ici représentés, ce qui inclut non seulement les CD publiés sous le label du Palazzetto proprement dit, mais aussi des disques Alpha, Glossa, Zig-Zag Territoires, Naïve, Aparté Erato, Ricercar, cpo, Mirare, Ligia Digital, Timpani, Decca, Chandos et quelques autres encore ! Ce qui en dit long sur l’importance qu’a su prendre le Palazzetto dans la vie musicale… On notera que l’opérette est un genre dans lequel l’implication du PBZ est encore assez récente, d’où la relative brièveté du disque qui lui est consacré (moins d’une heure alors que tous les autres proposent plus de soixante-dix minutes de musique).
Les deux disques dédiés à l’opéra sont globalement chronologiques : 1780-1830 pour le premier, 1830-1900 pour le second. Dans l’un, la tragédie lyrique jette ses derniers feux, sur des sujets encore tout imprégnés de l’Antiquité classique ; dans l’autre, c’est l’histoire moderne qui domine le grand opéra français. A l’écoute, on comprend bientôt que le disque 1830-1900 tourne un peu au récital « Véronique Gens and Friends », tant la soprano – et ce n’est que justice – a été sollicité pour les entreprises de réhabilitation menées par le Palazzetto : Dante de Benjamin Godard, La Reine de Chypre d’Halévy, Herculanum de Félicien David, Cinq-Mars de Gounod, Proserpine de Saint-Saëns, La Jacquerie de Lalo et, tout récemment, la version originale du Faust de Gounod. Aucun(e) autre artiste ne semble être aussi présent(e) dans ces enregistrements, mais l’on ne s’en plaindra pas. Côté chefs, le nom d’Hervé Niquet revient lui aussi très souvent, mais il domine aussi d’autres galettes du coffre (cantates, musique sacrée, musique orchestrale).
Cet aperçu rétrospectif permet aussi de retrouver des voix qui furent un temps associées au PBZ et que l’on regrette parfois de ne pas avoir entendues davantage : Marie Kalinine, stupéfiante Armide dans le Renaud de Sacchini, également présente dans des pièces religieuses de Théodore Dubois ; Catherine Hunold, captée dans Le Mage de Massenet et dans Les Barbares de Saint-Saëns, et qui paraît cependant née pour ressusciter tout un pan du répertoire français de la fin du XIXe siècle ; Pierre-Yves Pruvot, qui aurait sans doute mérité d’être présent dans d’autres titres que La Mort d’Abel de Kreutzer et Lodoiska de Cherubini.
Fatalement, le disque défendant la mélodie tourne un peu au récital Tassis Christoyannis, avec ici et là une intervention de Cyrille Dubois (pour ce dernier, on signalera deux enregistrements restés jusque-là inédits, deux compositions de Lili Boulanger). Là non plus, on ne songera pas un instant à s’en plaindre, tant le baryton grec a su faire sien ce répertoire, à travers la belle série de disque que la PBZ lui a confiés, et qui trouvera d’ici peu un couronnement avec une intégrale Reynaldo Hahn.
S’il fallait formuler un regret, il ne concernerait guère que le titre de ce coffret : les contraintes du marketing international semblent avoir imposé The French Romantic Experience, sans doute plus exportable de par le vaste monde qu’un possible équivalent plus francophone. Enfin, l’essentiel est ce qu’il y a dans la boîte…
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