Vous rappelez-vous le film de Sam Mendes American Beauty ? Kevin Spacey y fantasmait sur une amie de sa fille, que des séquences oniriques nous montraient nue sur fond de pétales écarlates. C’est à cet univers que se rattachent les photographies proposées dans le livret, où une nymphette minaude devant un mur de roses, l’adolescente américaine étant ici remplacée par une trentenaire allemande, Mojca Erdmann (à ne pas confondre avec la mezzo suédoise Malena Ernman), qui livre avec ce disque son premier récital. Il n’est pas sûr, hélas, que son ramage égale son plumage.
La composition du programme est particulièrement soignée, et évite d’imposer à cette jeune chanteuse un marathon mozartien dont elle ne serait pas sortie indemne. Tout est ici dans le titre : « Mostly Mozart », clin d’œil au Festival new-yorkais du même nom, indique bien qu’il s’agit « surtout » de Mozart, mais pas seulement. Et pratiquement tout le reste relève de la découverte. La Nina de Paisiello (1789) a eu des interprètes illustres (Bartoli, Antonacci), mais ne court pas les rues pour autant. Les Danaïdes (1784), chef-d’œuvre gluckiste de Salieri, a déjà connu plusieurs intégrales, mais on n’en entend pas souvent des extraits. L’Amadis de Gaule (1779) de Jean-Chrétien Bach, qui fera cet hiver l’ouverture de la saison de l’Opéra-Comique, attend toujours de voir enregistrer sa version originale en français. Enfin, on trouve ici deux morceaux tirés de Günther von Schwarzburg (1777) d’Ignaz Holzbauer (1711-1783), représentant de l’école de Mannheim ; le disque s’est jusqu’ici fort peu intéressé à sa musique vocale profane, même si ce singspiel a été enregistré en 1996.
De Mozart, Pamina, Zaïde et Zerline font bel et bien partie du répertoire de Fräulein Erdmann ; en revanche, Ilia et Suzanne restent à venir. Celle qui fit ses débuts à Salzbourg en 2006 dans Zaide reprend un rôle qu’elle connaît bien : son « Ruhe sanft » est charmant et le « Tiger ! » lui permet de montrer de quoi elle est capable dans la colère, car la tonalité dominant ce disque est plutôt élégiaque. Les mélomanes pour qui Zerlina aura éternellement la tendresse et la malice de Graziella Sciutti passeront leur chemin : on a ici affaire à un travail propre mais scolaire.
Le programme de ce disque est alléchant sur le papier, mais encore faut-il être à la hauteur de ses ambitions. Si la voix de Mojca Erdmann a la limpidité que suppose ce répertoire, elle manque cruellement de personnalité, et un peu d’agilité. Il n’est pas sûr non plus qu’elle maîtrise le trilinguisme nécessaire. En allemand, on sent la soprano très à son aise, mais son italien pourrait être amélioré pour le rendre moins raide, moins précieux, plus naturel en un mot (l’accentuation reste exotique, certaines consonnes sont indument redoublées, les T sonnent un peu anglo-saxons). En français, Mojca Erdmann donne l’impression de marcher sur des œufs : dans le premier air d’Hypermnestre, sa compatriote Diana Damrau confère aux mots un tout autre relief (et l’on ne parle pas de ce qu’en fait Sophie Marin-Degor dans la plus récente des intégrales discographiques). Voici donc un récital intelligent, qui séduit par l’originalité de son répertoire, mais qui vient sans doute un peu tôt dans la carrière d’une jeune chanteuse. Gageons qu’à l’avenir, une plus grande expérience de la scène l’aidera à camper un personnage au lieu de se contenter d’émettre de jolis sons.
Laurent Bury