C’est vrai qu’il est agaçant, Vittorio Grigolo. Ces halètements constants, et à deux millimètres du micro, qui coupent la ligne de chant. Ces notes tenues jusqu’à épuisement complet du souffle, ces effets de détimbrage, jusqu’à extinction du son, qu’on trouve dès la première phrase qu’il chante sur ce disque d’opéra français : dans « Toute mon âme est là », on entend « Toute mon âme est l… », et ce Werther prend une énorme et très audible inspiration avant d’attaquer « Pourquoi me réveiller ? » Ce frémissement systématique, qui ferait presque passer Rolando Villazón pour un pasteur protestant – si Faust frissonne autant lorsqu’il salue la demeure chaste et pure, dans quel état sera-t-il face à Marguerite en personne ? Certains passages sont soudain chantés tout en force (ce même Faust n’a plus du tout la tremblote lorsqu’il rugit son ultime « la présence »). D’un autre côté, comment résister à la fougue adolescente de ce tout jeune Werther ? A l’ardeur de ce Roméo plus passionné qu’il n’est permis ? mais c’est un personnage italien, donc il lui sera beaucoup pardonné. Du reste, la fébrilité des héros de Massenet convient sans doute mieux à Grigòlo que la noblesse attendue d’un Faust, mais ces (French) Romantic Heroes se retrouvent tous un peu tous dans le même sac.
Malgré son image de ténor italianissime (de pizzaiolo, diront les méchants), Vittorio Grigòlo ne chante pas que Rodolfo, Edgardo ou Nemorino, il est aussi très régulièrement Roméo, Faust, Hoffmann, Werther ou Des Grieux ; en ce sens, le programme du disque reflète bien son répertoire actuel. Et il faut saluer un français assez remarquable, à des années-lumière des horreurs que nous infligèrent longtemps les Domingo et autres Kraus. Les voyelles sont les bonnes (quelques e muets deviennent des é, mais ils sont très rares), les R sont à peine roulés, juste ce qu’il faut. A peine trouvera-t-on à lui reprocher un léger chuintement sur le son S (« Rechpectez »), ou un « embrase » devenu « embrasse » dans Les Contes d’Hoffmann. Il n’y a guère qu’un solécisme condamnable : « Qu’à jeter-Z-un regard sur moi », dans l’air de la fleur. Car ce disque est aussi l’occasion d’aborder des rôles plus lourds, que Grigòlo n’a pas encore osé à la scène : Don José, donc – où l’aigu final, sans être pianissimo, est loin d’être hurlé comme chez certains, et fait l’objet d’un long diminuendo –, Le Cid (où il ne s’attaque pas à « O noble lame », mais plus raisonnablement à « O souverain, ô juge, ô père »), Vasco de Gama et même Eléazar ! De fort ténor qu’il est censé être, le héros de L’Africaine devient ainsi un tout jeune explorateur, son air, truffé de pianissimi délicieux, est un rêve et non une démonstration athlétique, même dans sa partie centrale, aux trompettes conquérantes. Difficile en revanche d’imposer la même cure de jouvence au père de Rachel. Si jeunesse savait…
Pour son récital Gounod-Massent, Rolando Villazón avait eu Natalie Dessay pour dire simplement « Hélas, qui ne fait pas de rêves ? », Vittorio Grigòlo bénéficie de la grande voix de Sonya Yoncheva pour lui donner cette même réplique, mais aussi pour interpréter avec lui un vrai duo, celui de Roméo et Juliette. Outre cette guest star de luxe, on a aussi droit à l’actrice franco-italienne Alessandra Martines susurrant la Muse des Contes d’Hoffmann (choix original que cet extrait du « nouveau » final de l’œuvre, plutôt qu’un morceau de la version Choudens). On aurait aisément pu se passer du sacristain lançant « C’est l’office » au milieu de « Ah, fuyez, douce image », et surtout de la phrase « Il est jeune, et sa foi semble sincère », mâchouillé par un non-francophone sur les dernières secondes de cette même plage, comme pour bien briser le charme exercé par la musique. Quant à Evelino Pidò, souvent assez détestable dans la musique italienne, peut-être devrait-il se reconvertir en chef d’opéra français, où il semble se débrouiller plutôt bien, à la tête de l’orchestre de la RAI. Son habituelle précipitation nous change agréablement des langueurs d’un Plasson.