Le nom de Marilyn Horne restera indissolublement lié à la renaissance du Rossini seria, répertoire qu’elle contribua à faire revivre et où elle posa quelques références absolues. Tancredi est, sans nul doute, son rôle le plus emblématique. Encore aujourd’hui, elle y demeure insurpassée. En témoigne cet enregistrement capté à l’occasion des représentations données à la Fenice de Venise en 1983 où la chanteuse américaine est alors dans la plénitude de ses moyens. Le timbre est riche et somptueux, tout en rondeur, les couleurs varient pour évoquer la joie ou le désespoir, la voix s’allège soudain dans une déclaration d’amour ou s’assombrit dans la colère… On a rarement entendu vocalises aussi précises et rapides, trilles et sons filés, variations formidables, toute une grammaire belcantiste exécutée à la perfection et toujours au service du drame. Mais la mezzo-soprano sait aussi se dépouiller de tout artifice avec une mort d’une superbe simplicité (il s’agit du finale dit « de Ferrare »). Nous touchons là au sublime.
Sa partenaire d’alors était à l’époque quasi inconnue (et aujourd’hui sans doute un peu oubliée) : la jeune Lella Cuberli ne lui cède en rien dans la performance technique belcantiste. Son timbre un peu voilé, avec ce que les italiens appellent le sfumato et dont Patrizia Ciofi est un exemple actuel, se marie parfaitement à la voix mordante de sa consoeur et leurs duos sont des sommets.
Au début des années 80, rares étaient les ténors capable de rendre justice à ce répertoire. La voix d’Ernesto Palacio évoque celle de Juan Diego Flórez, péruvien comme lui, dont il deviendra professeur et agent. Le timbre manque un peu de corps, mais sa prestation est tout à fait excitante, avec des vocalises plutôt correctes, un beau registre aigu et une égalité de projection qui lui permet d’aligner les contre-ré bémol sans faire ressentir d’efforts.
Passons rapidement sur Nicola Zaccaria, très proche à l’époque de Marilyn Horne, dont la voix est un peu usée mais qui garde un bel aplomb dans un rôle de toute façon dépourvu d’aria. La jeune Bernadette Manca di Nissa campe une belle Isaura et tire le maximum d’un air pour lequel Rossini n’a pas été très inspiré.
Plus mozartien que rossinien, Ralf Weikert offre une direction un peu plate, manquant de mordant, sans toutefois être rédhibitoire. Il y manque ce grain de folie associé à Rossini mais le finale tragique est bien rendu. L’enregistrement est d’une excellente qualité sonore, la prise de son donnant du corps à un orchestre et à un choeur un peu anémiques en salle. Le volume peut parfois varier en fonction de l’éloignement des protagonistes, on entend quelques bruits de scène, mais ce n’est qu’un détail, tant la présence du public contribue à galvaniser les interprètes de cette soirée historique.
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