Même si la pratique est loin d’être systématique, réunir dans un coffret La Symphonie fantastique et Lélio n’est pas une démarche radicalement neuve : quelques versions au catalogue le faisaient déjà, et la démarche est d’autant plus logique que Berlioz avait conçu son « monodrame lyrique » comme un prolongement naturel de sa symphonie. Selon lui, cette partition composée en 1831, soit un an après ses Episodes de la vie d’un artiste, « doit être entendue immédiatement après la Symphonie Fantastique, dont elle est la fin et le complément ». Evidemment, celle-ci est un tube que jouent à peu près tous les orchestres de la planète, alors que Lélio reste une rareté, pénalisé par le caractère hybride de la partition : long monologue parlé entrecoupé de moments musicaux, qui occupent à peine plus de la moitié de sa durée totale, l’œuvre exige un récitant, un ténor, un baryton, un chœur, un piano et un orchestre. Le texte en français a forcément nui à son exportation, à moins de le traduire pour le concert ou d’enregistrer le monodrame amputé de ses passages déclamés (comme l’a fait Colin Davis). Et même si des chefs francophones ont eu à cœur de défendre Lélio à l’étranger, encore aurait-il fallu pouvoir réunir des interprètes capables de chanter notre langue de manière intelligible et idiomatique.
Les Wiener Symphoniker, qui se sont dotés de leur propre label pour commercialiser les enregistrements de leurs concerts, ont choisi de participer aux commémorations berlioziennes en y allant de leur diptyque Fantastique-Lélio, sous la direction de Philippe Jordan, avec la collaboration de trois artistes français pour le chant et le texte parlé. Hélas, c’est la partie purement orchestrale (le premie des deux disques) qui déçoit franchement : la valse d’ « Un bal » est un peu pataude, alors qu’on voudrait être emporté par un tourbillon à travers les brillants salons et le « tumulte de la fête » décrit par Berlioz ; la Scène aux champs ne frémit guère, elle non plus, et la Marche au supplice n’a rien de bien effrayant. Face à une discographie déjà pléthorique, cette énième version n’apporte pas grand-chose. Malgré la beauté intrinsèque du son des instrumentistes, la direction ne parvient pas à passionner l’auditeur.
C’est dommage, car Lélio est plus réussi : plus fragmentaire – on pourrait même dire « assemblée de bric et de broc », dans la mesure où Berlioz s’y livra au réemploi de pages empruntées à des compositions antérieures –, la partition exige moins cet élan qu’on attend de la Symphonie fantastique.
Pour un disque paru chez Chandos en 2007, Jean-Philippe Lafont avait déjà endossé l’habit du récitant, tout en chantant le capitaine des brigands. Douze ans plus tard, il se contente du parlé, domaine dans lequel il se montre tout à fait convaincant, sans emphase excessive, mais en conférant à sa parole tout le poids de l’expérience des années, qui convient bien à l’amertume d’un récit qui vagabonde entre Shakespeare, les amours impossibles et l’art de bien interpréter la musique de l’avenir.
Les brigands ont cette fois pour capitaine Florian Sempey, qui traduit bien le caractère emporté du personnage. Evidemment, son intervention dure moins de quatre minutes, et il la partage avec le chœur du Wiener Singverein. Le ténor est un peu plus gâté puisque, outre « Le pêcheur » d’après Goethe, premier morceau musical de l’œuvre, lui est également confié un « Chant de bonheur » où il devient la « voix imaginaire de Lélio ». Après avoir été un superbe Iopas dans les « Troyens du siècle » puis dans la production Tcherniakov à Bastille, Cyrille Dubois fait une fois de plus merveille chez Berlioz, conférant une inimitable grâce poétique à chacun des deux airs qu’il interprète ici. C’est surtout dans le « Chœur d’ombres » que le Wiener Singverein a l’occasion de se faire entendre : le texte manque bien un peu de clarté, mais le Wiener Singverein a le caractère impalpable qui sied aux esprits, qui s’expriment aussi (en italien, curieusement) dans la « Fantaisie sur La Tempête ».