« Richard ne se sent pas bien » écrit Wagner dans son Journal. Le lecteur de ce livre va vite comprendre pourquoi… Alors que le dernier film de Dany Boon, Supercondriaque, cartonne au box-office, un livre écrit par le docteur Pascal Bouteldja nous présente un autre cas clinique exemplaire : Richard Wagner, champion toutes catégories de l’anxiété maladive. Pourtant plutôt robuste, Wagner aligne une liste de mal-être à rendre Argan et ses Diafoirus de médecins fous de jalousie : malaise général avec fièvre lui imposant de s’aliter, affections cutanées (érysipèle ou dermite séborrhéique, éruptions de furoncles ou généralisée de boutons, prurigo), troubles dyspepsiques polymorphes, crampes de poitrine, aérophagie, insomnies et maux de tête, périodes d’intense surexcitation alternant avec des accès dépressifs entraînant une grande fatigue, rhinite chronique, troubles oculaires (fatigue oculaire et hétérophorie, ou déviation des axes visuels), syndrome cardio-gastrique et finalement maladie cardiaque qui était de toutes la plus réelle, puisqu’on en connaît l’issue fatale par infarctus du myocarde.
Tout le monde se pose donc la même question : comment un être aussi torturé physiquement a-t-il pu quand même composer une des œuvres majeures de l’art lyrique mondial ? Un peu d’humour (Wagner lui-même rappelait que Schopenhauer énonçait, au nombre des conditions physiologiques du génie, d’avoir un bon estomac !) a peut-être légèrement adouci le calvaire médical du compositeur. Mais au total, la cohabitation du patient Wagner avec tous ses maux réels ou supposés est quand même le plus souvent agitée. En effet, grand « nerveux », il avait en plus, comme tout bon hypercondriaque, des idées bien arrêtées sur les questions médicales, ce qui ne facilitait pas les rapports souvent conflictuels qu’il avait avec ses médecins successifs. Au point que les relations d’amitié qu’il lui arrivait de nouer avec tel ou tel médecin amenaient souvent de meilleurs résultats que les qualités scientifiques intrinsèques dudit praticien.
Là où l’on aurait pu craindre la sinistre description de symptômes et leur analyse médicale, le livre se lit – presque – comme un roman. Il faut dire que l’auteur a une double spécialité : d’une part médecin omnipraticien, et d’autre part passionné de Wagner (il est vice-président du cercle Richard Wagner de Lyon), au point d’avoir consacré à l’état de santé de Wagner sa thèse de doctorat en médecine soutenue en 1996, et publié une importante bibliographie wagnérienne*. Une autre des qualités de l’ouvrage est d’éviter un jargon par trop médical, ou en tous cas, à défaut, d’expliquer les termes les plus difficiles ou inusités « afin de rendre cette analyse accessible au non spécialiste ». Enfin, tous les troubles sont remis avec doigté en perspective dans le cadre médical de l’époque, avec des explication sur les diagnostics, les soins apportés et leur évolution au long du XIXe siècle. Ces soins sont quasi permanents et très variés, dont l’eau thermale, qu’il boit abondamment à domicile, et utilise aussi en bains, projections, injections, etc. dans les plus grandes villes d’eau du temps, comme Teplitz-Schönau, Marienbad ou Bad Ems. Les connaissances médicales du temps, les hypothèses de différents médecins, les réflexions sur ce qu’aurait pu révéler réellement tel ou tel symptôme, largement exposées, sont passionnantes, mais éclairent parfois plus l’histoire de la médecine que celle de Wagner lui-même.
L’auteur a évité avec juste raison un autre piège qui aurait consisté à faire un parallèle entre certaines affections et certains personnages de ses opéras créés au même moment. Mais il a essayé dans toute la mesure du possible, et parfaitement réussi à préciser l’état pathologique du compositeur à tel ou tel moment de sa vie, en rappelant l’endroit où il se trouvait et quelles étaient au même moment ses activités affectives et musicales. Stress, anxiété, angoisse qu’il faisait largement partager à son entourage confirment les fortes composantes psychosomatiques et psychiques du compositeur. Et beaucoup de ses symptômes montrent surtout l’envie qu’il avait d’être aimé : Wagner était « psychosomatique sans être hypocondriaque, névropathe sans être maniaco-dépressif, aspirant à la paix et se mettant perpétuellement dans la situation de la perdre », comme le souligne Christian Merlin dans sa préface.
Le patient Wagner ne pouvait donc être en de meilleures mains. Bien sûr, le côté un peu voyeur que l’on ressent à la lecture de ce qui est éminemment du domaine privé de la personne est parfois un peu gênant. Mais tous les petits malaises de Wagner, au demeurant assez communs, rabaissent finalement le génie déifié au rang d’un simple être de chair et de sang, ce qui le rend un peu moins antipathique, et en tous cas plus humain.
* Bibliographie Wagnérienne française, Bibliographie critique de la littérature consacrée à Richard Wagner, son œuvre et au wagnérisme, par Pascal Bouteldja et Jacques Barioz, éditions de L’Harmattan, 2008, 406 pages