Les écrits musicaux de Suarès ne sont plus guère lus de nos jours…D’ailleurs, sont-ils connus hors du cercle restreint des spécialistes ? Aurait-on oublié que cet écrivain exceptionnel, qui nous laisse une œuvre abondante et multiforme, était aussi épris, passionné de musique que Proust et Romain Rolland, ses illustres contemporains ? Condisciple de ce dernier à Normale Sup’, lié à Fauré, Debussy, Dukas, Satie, André Suarès n’a jamais cessé de jouer, d’écouter, d’analyser, de sentir enfin toutes les musiques, de toutes les esthétiques, de toutes les époques. Depuis les travaux de Jean Astier (La passion musicale d’André Suarès, 1975, épuisé) et de Frédéric Gagneux (Suarès et le wagnérisme, 2009), l’édition semblait muette.
Stéphane Barsacq, auquel on devait déjà un essai sur Brahms, chez le même éditeur, témoigne de sa longue et permanente fréquentation de l’œuvre de Suarès. Sa riche et brillante préface a pour premier mérite de nous rappeler la dimension musicale fondamentale de cet écrivain hors du commun. Le poète est un musicien métaphysique.
L’ouvrage rassemble les contributions régulières d’André Suarès à la Revue musicale, enrichies de textes inédits.
Dans une langue rare, où la formule, l’aphorisme abondent – Nietzsche n’est pas loin -, cette chronique ne laisse jamais indifférent. Rares sont les pages où l’on n’est pas surpris par l’acuité et la pertinence des observations, y compris les contradictions assumées. La quête de l’essentiel est une constante chez Suarès.
Il peut et sait être d’un humour caustique, ravageur, assassin. Beethoven est une de ses victimes, son souffre-douleur. Il l’admire mais ne l’aime pas. Son mépris de la musique italienne est constant. Seul Monteverdi y échappe. Mozart et Bach sont aimés et respectés. S’il a été conquis par Tristan et Parsifal, le Ring n’exerce pas la moindre fascination.. Debussy semble le seul à échapper à toute critique : Claude-Achille, paré de toutes les vertus, est porté au pinacle.
Sa lucidité s’avère quasi prophétique, visionnaire, qu’il s’agisse d’interprétation de la musique baroque, de la révolution de la musique enregistrée et de ses conséquences, ou encore du monde en mutation (« la cité des automates se fera moitié de génie américain et de technique, moitié de jaunaille [sic.] et de prolétariat.»)
La lecture de ce petit livre invite à découvrir ou retrouver ses autres écrits musicaux : les biographies, naturellement (Bach, Beethoven, Wagner, Debussy), mais surtout son Musique et poésie (1928, Claude Aveline). Chacun des propos excédant rarement deux pages, cette lecture, stimulante, tonique, est aisée. Tous les musiciens et mélomanes y trouveront leur miel, parfois acidulé.
Un seul regret : que les articles publiés dans la Revue musicale soient simplement signalés par un numéro, qui ne permet ici aucune datation, précieuse car l’actualité ou le contexte dictent parfois plus ou moins directement le propos.