C’est un livre de très bonne facture que ces mémoires de Kent Nagano. On y retrouve le parcours exemplaire d’un fils d’immigrés installés sur la côte ouest découvrant tôt la musique et ses sortilèges, puis découvrant le monde et ses orchestres, des Etats-Unis à l’Europe, avant de faire retour à Montréal. Entre les épisodes de cette vie s’intercalent des aperçus nourris sur les compositeurs-clés de son existence : Beethoven, Bruckner mais aussi Messiaen et Bernstein. Les coulisses ne sont pas oubliées, et les rencontres lumineuses abondent, qu’il s’agisse de Zappa, Messiaen, Yann Martel, Julie Payette…
Mais le fil rouge du livre est ailleurs : dans une constante interrogation sur la place de la musique dans nos vies et dans nos nations, submergées de préoccupations matérialistes. Le phénomène musical est interrogé avec une curiosité insatiable. Un franc pessimisme aussi se fait jour devant l’évolution de nos sociétés et la crise des orchestres. De douces paroles enracinées dans la foi des Lumières et un humanisme volontaire tentent d’apporter une consolation au spectacle d’une éducation publique dévalorisée, de systèmes scolaires en ruine, d’orchestres plongés dans le doute. Réaffirmer le rôle moral et pour ainsi dire spirituel de la musique est de toute évidence l’objectif premier de ce livre en ces temps de crise.
On ne peut que souscrire à tant de ferveur et de conviction, même si cela confine bien souvent à l’idéalisme voire à une certaine ignorance des forces souterraines qui travaillent aujourd’hui les nations. Il y a là quelque chose d’inactuel qui séduit et laisse perplexe tout à la fois. La plus belle part du livre reste ainsi sans aucun doute l’histoire d’un homme dont la musique est la moelle et le sang, et qui désespère que chacun d’entre nous ne puisse, comme lui, vivre dans cette lumière.