N’étaient ses Fantaisies sur Greensleeves ou un thème de Thomas Tallis, ou parfois son simili-concerto pour violon The Lark ascending, le plus grand symphoniste britannique du XXe siècle, Ralph Vaughan Williams (1872-1958) resterait un parfait inconnu des salles de concert du Continent. On a beau chercher dans la programmation des grandes salles de concert, des orchestres européens, jamais on ne voit affichée l’une de ses neuf symphonies, qu’ont pourtant enregistrées des chefs non britanniques comme Bernard Haitink ou André Previn.
Comme si, bien avant le Brexit et la crise sanitaire, la musique anglaise devait rester confinée dans son île pour toujours.
C’est dire si ce disque, produit par le label de l’orchestre Hallé* de Manchester, est particulièrement bienvenu : deux œuvres majeures de Vaughan Williams, Job, a Masque for dancing (1930) et le cycle de neuf mélodies sur des poèmes de R.L. Stevenson, Songs of Travel (1914).
La tentation est grande de rapprocher ce cycle de Songs of Travel de celui, antérieur d’une trentaine d’années, de Gustav Mahler, les Lieder eines fahrenden Gesellen (si piètrement traduits par les Chants d’un compagnon errant), ou de La Belle Meunière de Schubert. Tentation qui ne dure guère, quand on lit les poèmes de Stevenson (oui, l’auteur de L’ïle aux trésors ou de L’étrange cas du Docteur Jekyll et de M. Hyde)
- The Vagabond
- Let Beauty Awake
- The Roadside Fire
- Youth and Love
- In Dreams
- The Infinite Shining Heavens
- Whither Must I Wander
- Bright is the Ring of Words
- I Have Trod the Upward and the Downward Slope
On est loin des tourments romantiques du Wandern schubertien, ou de l’errance intérieure du Geselle mahlérien. Le voyageur de Stevenson est bucolique, exotique, aventurier, vagabond et la musique de Vaughan Williams souligne, accentue cette sensation de bienveillance de la nature, au sein de laquelle notre héros s’ébroue et s’émerveille.
Le baryton-basse britannique pur jus, Neal Davies, ne brille pas par un organe très individuel, mais il n’est pas avare de couleurs et tient plus que son rang dans la prestigieuse galerie d’interprètes de ce cycle, les Benjamin Luxon, Thomas Allen, Gerald Finley et autres Bryn Terfel.
Mark Elder est à la tête, depuis 2000, de la phalange dont John Barbirolli avait été le reconstructeur et le héraut de 1943 à sa mort en 1970. Sir Mark donne à entendre toute la subtilité de l’orchestration dont RVW a paré lui-même les première, troisième et huitième mélodies, son assistant Roy Douglas (1907-2015, auteur, entre autres, du ballet Les Sylphides sur des thèmes de Chopin) s’étant chargé des six autres.
Tout comme il restitue la grandeur élégante de la suite orchestrale que Vaughan Williams compose en 1927 pour commémorer le centenaire de la mort de William Blake, auteur des Illustrations du Livre de Job. L’œuvre va connaître plusieurs avatars, à la suite du refus de Diaghilev d’en faire un ballet. Constant Lambert va réduire ce Job à une plus petite formation : il en résultera tout de même une musique de ballet créée le 5 juillet 1931 sur une chorégraphie de Ninette de Valois. C’est ici la partition pour grand orchestre que livrent Mark Elder et son orchestre de Manchester.
Prise de son superlative. Booklet très complet. Encore un indispensable de toute discothèque d’honnête homme !
* Sir Charles Hallé, né Karl Halle en Westphalie en 1819, naturalisé britannique en 1852, a fondé en 1858 à Manchester, le plus ancien orchestre professionnel du Royaume-Uni qu’il dirige jusqu’à sa mort en 1895.