Forum Opéra

Soleil noir – Arie da e per Francesco Rasi

arrow_back_iosarrow_forward_ios
Partager sur :
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur pinterest
Partager sur whatsapp
Partager sur email
Partager sur print
CD
14 août 2021
Le noir contient toutes les couleurs

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Détails

Francesco Rasi

Indarno febo (Il pianto d’Orfeo)

Filli mia, Filli dolce

Giuseppino del Biado

Fuggi, fuggi da questo cielo (la Mantovana)

Marco da Gagliano

Lamento d’Apollo (La Dafne)

Giulio Caccini

Amarilli

Jacopo Peri

Un di soletto

Thomas Dunford

Passamezzo (improvisation)

Francesco Rasi

Ardo, ma non ardisco

Messagier di Speranza

Andrea Falconieri

La suava melodia (viole et harpe)

Francesco Rasi

O che felice giorno

Carlo Gesualdo

Gagliarda del principe di Venosa (harpe)

Giulio Caccini

Dalla porta d’oriente

Sigismondo d’India

Amico, hai vinto

Claudio Monteverdi

Quel sguardo sdegnosetto

Francesco Rasi

O pura, o chiara stella

Andrea Falconieri

E vivere e morire

I Gemelli

Emiliano Gonzalez-Toro, ténor

Louise Pierrard, viole de gambe

Thomas Dunford, théorbe

Flora Papadopoulos, harpe

Mathilde Etienne, conception

Enregistré à Notre-Dame du Bon Secours (Paris), 5 – 7 février 2019

1 CD Naïve V 5473 – 51’45

Pourquoi arborer cet air de mauvais garçon et nous toiser avec un regard de tueur ? La pose d’Emiliano Gonzalez-Toro intrigue et le titre nous égare autant qu’il nous éclaire. Il fait référence au « soleil noir de la mélancolie », une image que Nerval développa dans El Desdichado (poème cité en exergue du livret) et que Julia Kristeva reprit pour son essai consacré à la dépression. Or, si la mine farouche de notre voyou de velours évoque bien la part sombre de Francesco Rasi, son côté obscur s’avère d’une tout autre nature : poète et musicien raffiné, le Toscan fut également un assassin. Par ailleurs, ses contemporains décrivent un homme jovial et ses propres compositions, dont une demi-douzaine figurent au programme de cet enregistrement, sont loin de se complaire dans le registre mélancolique. 

Le héros du jour, dont nous commémorons cette année le 400e anniversaire de la disparition, est né le 14 mai 1574 au sein d’une famille patricienne d’Arezzo versée dans la poésie et la musique. En 1593,  Francesco Rasi gagne Rome avec Emilio de’ Cavalieri et son talent précoce suscite toutes les convoitises. Il voyage l’année suivante en Italie avec Gesualdo puis suit, comme ténor, l’enseignement de Giulio Caccini. Il est ensuite engagé par la famille des Gonzague et restera à son service jusqu’à sa mort, ce qui ne l’empêchera pas de se produire dans d’autres cours du Nord de la péninsule ou à Rome. Son nom est étroitement lié à la naissance de l’opéra : il incarne Aminta dans l’Euridice  de Rinuccini, Peri et Caccini (1600) avant d’endosser le rôle-titre de l’Orfeo de Striggio et Monteverdi (1607),  une collaboration qu’il renouvellera notamment avec l’Arianna, quelques mois après avoir créé la partie d’Apollo dans La Dafne de Rinuccini et Marco da Gagliano (1608). Le 6 novembre 1609, Francesco Rasi trucide un fermier de sa belle-mère et son épouse, double homicide qui entraîne sa condamnation à mort et son bannissement par le Grand-Duc de Toscane. 

Poète réputé, le ténor compose le livret et peut-être la musique de Cibele ed Ati pour les noces de Ferdinand de Gonzague et Catherine de Médicis (1617), mais l’opéra ne sera jamais joué. Il récidive avec Elvidia rapita, autre ouvrage dramatique dont la musique ne nous est pas non plus parvenue. En outre, il fera publier de son vivant trois recueils de madrigaux et monodies basés sur des poésies de Chiabrera, de Guarini, de Pétrarque ou encore du Tasse mais aussi sur ses propres vers. Les œuvres choisies par Emiliano Gonzalez-Toro constitueront, à n’en pas douter, une magnifique découverte pour nombre d’auditeurs. Il s’agit de « madrigaux amoureux, très légers, nous confiait-il, tout à fait dans le style de Monteverdi et on reconnaît d’ailleurs déjà parfois les prémices des diminutions du « Possente spirto « ».

Hormis peut-être Indarno febe (Il pianto d’Orfeo), où une mélancolie plus subtile s’insinue dès les premières mesures, ce sont des pièces simples et qui vont droit au cœur, parfois rehaussées de traits virtuoses rappelant effectivement ceux d’Orfeo. Le retour de la bien-aimée inspire à Rasi une page radieuse et parmi les plus gaies d’un disque qui n’en manque pas (O che felice giorno). De fait, de Peri comme de Caccini et Monteverdi, Emiliano Gonzalez-Toro privilégie les airs enlevés, sinon badins (Un sol di solettoQual sguardo sdegnosetto), sans pour autant bouder les tubes auxquels il imprime sa griffe – découvrez la franchise des attaques et les accents très personnels qui innervent Amarilli. Par contre, l’absence de l’Orfeo ne laisse pas d’étonner. Un hommage à Francesco Rasi peut-il se dispenser d’aborder la plus célèbre des créations auxquelles il prit part ? Le fait de l’avoir enregistré intégralement pour le même label n’interdisait pas au chanteur d’inclure au moins un numéro de ce rôle mythique. C’est d’autant plus frustrant que le minutage offrait suffisamment de marge et que notre ténor lui confère une plénitude rarement égalée.  

Vincenzo Giustiniani (Discorso sopra la musica) et Severo Bonini (Discorse e regole) louaient la facilité avec laquelle leur contemporain Rasi réalisait des ornements et de brillantes diminutions tant dans le registre du ténor que dans celui de la basse. « Soleil noir » renvoie probablement aussi à cette ambiguïté, fascinante, du baryténor, dans laquelle Emiliano Gonzalez-Toro décèle une « variante sonore du chiaroscuro baroque » : là baryton aigu – Furio Zanasi s’est révélé idoine dans cet univers –, ici ténor grave. L’artiste helvético-chilien possède un matériau dense, aux couleurs vivantes et aux assises somptueuses, bien plus ancré et connecté que celui de la plupart des ténors qui peuplent la planète baroque et d’où peuvent jaillir des aigus d’une impalpable douceur.

Le fondateur d’I Gemelli a opté pour un continuo limité, adaptant certaines pièces pour cet effectif : gambe (Louise Pierrard), théorbe (Thomas Dunford) et harpe (Flora Papadopoulos) – Rasi pouvait s’accompagner lui-même au chitarrone ou à la harpe double –, « car notre parti pris, explique-t-il, consiste à mettre en évidence la voix comme si nous étions en séance de travail de musique de chambre, très intimiste. » Si la prise de son lui permet de murmurer à notre oreille et de glisser fugacement dans le parlando, le ténor ose également un chant appuyé et sonore quand l’expression le requiert, multipliant les nuances dynamiques comme les demi-teintes pour suivre au plus près le cours ondoyant et si varié des sentiments. Non seulement les diminutions affichent une souplesse et une fluidité admirables, mais elles servent l’expression et peuvent revêtir une réelle puissance incantatoire (splendide version du lamento d’Apollo de Marco da Gagliano). La sensibilité  frémissante qui anime Amico hai vinto se hisse au même niveau et rend justice aux trésors de sophistication dont Sigismondo d’India pare les vers tirés de la Gerusalemme liberata. Tout semble couler de source et un tel naturel ne se rencontre pas tous les jours dans ce répertoire. Qu’y a-t-il de plus beau qu’un interprète au sommet de son art ? 

 

Commentaires

VOUS AIMEZ NOUS LIRE… SOUTENEZ-NOUS

Vous pouvez nous aider à garder un contenu de qualité et à nous développer. Partagez notre site et n’hésitez pas à faire un don.
Quel que soit le montant que vous donnez, nous vous remercions énormément et nous considérons cela comme un réel encouragement à poursuivre notre démarche.
56123195-41851718

Note ForumOpera.com

4

Note des lecteurs

()

Votre note

/5 ( avis)

Aucun vote actuellement

Infos sur l’œuvre

Détails

Francesco Rasi

Indarno febo (Il pianto d’Orfeo)

Filli mia, Filli dolce

Giuseppino del Biado

Fuggi, fuggi da questo cielo (la Mantovana)

Marco da Gagliano

Lamento d’Apollo (La Dafne)

Giulio Caccini

Amarilli

Jacopo Peri

Un di soletto

Thomas Dunford

Passamezzo (improvisation)

Francesco Rasi

Ardo, ma non ardisco

Messagier di Speranza

Andrea Falconieri

La suava melodia (viole et harpe)

Francesco Rasi

O che felice giorno

Carlo Gesualdo

Gagliarda del principe di Venosa (harpe)

Giulio Caccini

Dalla porta d’oriente

Sigismondo d’India

Amico, hai vinto

Claudio Monteverdi

Quel sguardo sdegnosetto

Francesco Rasi

O pura, o chiara stella

Andrea Falconieri

E vivere e morire

I Gemelli

Emiliano Gonzalez-Toro, ténor

Louise Pierrard, viole de gambe

Thomas Dunford, théorbe

Flora Papadopoulos, harpe

Mathilde Etienne, conception

Enregistré à Notre-Dame du Bon Secours (Paris), 5 – 7 février 2019

1 CD Naïve V 5473 – 51’45

Nos derniers podcasts

Nos derniers swags

This be her Verse, par Golda Schultz et Jonathan Ware

La parole aux femmes
CDSWAG

Le Bourgeois Gentilhomme

Un gentilhomme en fête
CDSWAG

Debussy La Damoiselle élue

Lignes claires
CDSWAG

Les dernières interviews

Stanislas de Barbeyrac : « Il y aura peut-être un jour Tristan, si je suis sage »

Interview

Questionnaire de Proust – Sophie Koch : « Christian Thielemann compte beaucoup pour moi »

Interview

Sophie Koch : « Aborder Isolde, c’est être devant l’Everest »

Interview

Les derniers dossiers

Questionnaire de Proust

Dossier

Les grands entretiens de Charles Sigel

Dossier

Philippe Boesmans (1936 – 2022)

Dossier

Zapping

Vous pourriez être intéressé par :

Compositrices : une anthologie en 10 cd par le Palazzetto Bru Zane

Les connues, les moins connues, les inconnues…
Cyrille DUBOIS, Aude EXTRÉMO, Yann BEURON
CD

Mozart in Milan, Sacred music around the Exsultate, jubilate

L’ombre milanaise du Padre Martini
Maximiliano BAÑOS, Federico FIORIO, Raffaele GIORDANI
CD

Voyage intime

L’arbitraire de l’intime
David KADOUCH, Sandrine PIAU
CD

Strauss : Four last songs

Rachel Willis-Sørensen en quête de l’essentiel
Andris NELSONS, PILGRIM SEBASTIAN, Rachel WILLIS-SØRENSEN
CD