Il y a dans Werther deux personnages qui n’ont pratiquement rien à chanter, leur intervention se bornant à trois mots. A la scène 6 de l’acte I, Brühlmann et Kätchen traversent la scène en se regardant dans les yeux : « avec un soupir d’aise », le monsieur dit « Klopstock ! » et, « avec ravissement », la demoiselle lui répond « Divin Klopstock ! ». En Allemagne, Friedrich Gottlieb Klopstock (1724-1803) jouit du titre de « réformateur de la poésie », Goethe et Schiller ayant reconnu leur dette envers lui, et sa réputation repose principalement sur son chef-d’œuvre, Le Messie (1748-1773). S’il a également eu une inspiration profane, ce sont principalement ses textes religieux qui ont été mis en musique par son contemporain Georg Philipp Telemann.
Pour autant, l’auditeur percevra-t-il dans ces cantates enregistrées par le Leipziger Concert le vent de nouveauté de Klopstock avait fait souffler sur la poésie allemande ? Ce n’est pas sûr. D’abord, parce que les compositions de Telemann n’ont, elles, rien qui les distingue vraiment du tout venant de la musique sacrée du XVIIIe siècle. Une certaine richesse orchestrale, une écriture qui sollicite la virtuosité des solistes, pour un résultat destiné à divertir les fidèles sans doute plus qu’à les toucher en profondeur. Quelques effets imitatifs bienvenus, mais comme ils étaient couramment pratiqués à l’époque pour évoquer l’orage ou les tourments des héros d’opéras. Aux pages de Telemann s’ajoute une « Elégie musicale » d’un compositeur plus jeune, Johann Heinrich Rolle (1716-1785), terminant le disque sur une note plus grave alors qu’il s’était ouvert sur une cantate festive.
Ensuite, parce que les choix interprétatifs du chef Siegfried Pank ne sont pas toujours de nature à émouvoir le plus. Chaque choral est chanté non par un chœur mais par les quatre solistes réunis, ce qui confère plus de clarté à ces passages, mais les rend aussi un peu froids, au détriment de l’impression de ferveur que donne un ensemble vocal plus fourni. Et il faut bien avouer que les quatre chanteurs en question, sans franchement démériter, n’ont rien de bien mémorable. La soprano Antje Rux sonne souvent comme un enfant, avec les avantages et les inconvénients que cela suppose : innocence d’une voix pure, non sans une certaine verdeur et une justesse parfois approximative. La mezzo Susanne Langner se distingue à peine de sa consœur et l’on aurait aimé un timbre un peu plus corsé. Le ténor Tobias Hunger, qui hérite du récitatif le plus expressif dans « Komm, Gest des Herrn » tente des effets expressifs à la Ian Bostridge, avec des nasalités voulues sur certains mots, mais il peine à s’en débarrasser le reste du temps. Quant à la basse Ingolf Seidel, il s’agit d’un baryton extrêmement clair, qu’on prendrait aisément pour un ténor, mais suffisamment agile pour affronter les vocalises de ses airs. Reste l’orchestre, qui remplit son contrat avec une certaine tenue, mais ce n’est peut-être pas suffisant pour nous faire sentir toute la divinité de ce cher Klopstock.