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Schwanengesang : Le Chant du Cygne

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CD
19 août 2019
Méditation sur le désir

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Détails

Franz Schubert
Cycle Schwanengesang et autres lieder

Fischerweise, D. 881 (Chanson du pêcheur, 1826), poème de Franz Xaver von Schlechta
Ganymed, D. 544 (Ganymède, 1817), poème de Johann Wolfgang von Goethe
Erlkönig, D. 328 (Le Roi des Aulnes, 1815), poème de Johann Wolfgang von Goethe
Rastlose Liebe, D. 138 (Amour sans repos, 1815), poème de Johann Wolfgang von Goethe
Der Einsame, D. 800 (Le solitaire, 1825), poème de Karl Gottlieb Lappe
Schwanengesang, D. 957 (Le Chant du cygne, 1828), poèmes de Ludwig Rellstab (lieder I-VII), Heinrich Heine (lieder VIII-XIII) et Johann Gabriel Seidl (lied XIV)

Thomas Dolié, baryton
Olivier Godin, piano Erard 1859

Enregistré à la Salle Bougie du Musée des beaux-arts, Montréal, 23 au 25 octobre 2017
Sortie le 10 mai 2019
1 CD KLARTHE Records KLA059 – 73’00

Depuis 2008 et son triomphe dans la catégorie « Révélation lyrique » aux Victoires de la Musique, Thomas Dolié a construit l’essentiel de sa carrière autour des grands opéras français du XIXe et du XXe siècle. Mais pour son premier enregistrement solo, le baryton français revient à un répertoire qu’il aime particulièrement : celui des lieder romantiques allemands. Impulsé par le chambriste Olivier Godin, ce projet de récital, puis d’enregistrement, s’est construit autour du dernier cycle de lieder Schwanengesang, composé par Franz Schubert quelques mois avant sa disparition en 1828. Si la mort plane au-dessus de cette œuvre, c’est aussi un hymne au désir. Cet aspect, souvent relégué au deuxième plan, est mis en lumière par les cinq lieder précédents le cycle. Véritable préparation sonore, ces lieder d’ouverture (Fischerweise, Ganymed, Erlkönig, Rastlose Liebe, Der Einsame) font voyager les auditeurs dans l’univers des poètes romantiques germaniques et de leurs visions du désir. Un désir jamais satisfait, car l’amour, le sentiment amoureux, partagé ou non, reste par essence éphémère. Une fois passés, l’amour et le désir laissent place à la souffrance, puis à la nostalgie.

C’est cet état ultime du sentiment amoureux qui a été choisi comme thématique de la pochette de ce CD : Thomas Dolié, immobile, couché sur un sol gris bleuté, son visage arborant un air mélancolique. Outre une présentation par Jean-Philippe Grosperrin des procédés de figuralisme (traduction musicale d’un sentiment ou d’un mot) dans ces œuvres de Schubert, le livret renferme des photos de l’enregistrement du CD dans la Salle Bougie du Musée des beaux-arts de Montréal, ainsi que les poèmes en allemand et leur traduction en français. Les réticents à l’ère du numérique seront déçus de ne pas y trouver une biographie des artistes et d’être renvoyés vers des liens internet (encore faut-il qu’ils fonctionnent).  

Au-delà du judicieux choix des lieder préparatoires, la singularité de cet enregistrement réside dans ses recherches de sonorités. En choisissant un piano Erard de 1859, Olivier Godin plonge les auditeurs dans le piano « romantique », au sens historique du terme. Si le son percussif et inégal de cet instrument est quelque peu déroutant pour nous autres, auditeurs du XXIe siècle, habitués au son homogène et puissant du piano moderne, force est de constater que le timbre de ce piano s’accorde parfaitement à celui de Thomas Dolié. Néanmoins, on peut regretter le manque de précision dans les mélodies de la main droite dans Der Einsame. On peut aussi déplorer les triolets trop présents à cette même main droite dans Erlkönig. Il est vrai, également, qu’une pédale de résonnance imprécise tend à masquer les détails de l’écriture de Schubert (« Frühlingssehnsucht »). Mais ce piano de 1859 amène par contre une richesse sonore perdue (comme dans les accords de « Der Doppelgänger »), richesse sonore qui porte et de soutient les mélodies vocales, comme dans « Ständchen ».

Une autre qualité notable de cet enregistrement est la vision chambriste de l’écriture schubertienne assumée par les deux artistes. Si certains effets d’écho entre le piano et la voix sont assez évidents (Der Einsame), la connexion entre les deux comparses permet de porter encore plus loin les poèmes et la musique de Schubert. Dans Ganymed, Thomas Dolié ne s’inspire pas seulement de l’ambiance construite par Olivier Godin, il s’appuie clairement sur celle-ci pour proposer une interprétation contrastante et contrastée de ce lied. Cette connexion, les deux musiciens la mettent constamment au service de l’émotion musicale en prenant le temps d’amener les mots figurés en musique par Schubert (comme « Schwerzengewalt » dans « Der Doppelgänger »). Cette intelligence musicale est suppléée par l’indéniable sens du théâtre de Thomas Dolié, tant dans la direction de ses phrases que dans ses intentions. Dans Ganymed, on sent l’influence de son expérience scénique dans le souffle qu’il donne à son récit. Dans Erlkönig, le manque de contraste entre les différents personnages est pallié par une retenue délibérée qui ne rend que plus poignants les cris désespérés de l’enfant (« Mein Vater, mein Vater »).

Voilà qui nous amène à l’épineux débat des tempi et du rôle crucial du pianiste. Si la retenue peut être un moyen musical au service de la diction du drame, un tempo trop lent aura tendance à alourdir la musique. Sans faire du rubato (nous ne sommes pas, après tout, dans du Chopin), un peu de souplesse de la part d’Olivier Godin dans « Aufenthalt » aurait permis au baryton d’être encore plus terrifiant. Plus embêtant, dans « Das Fischermädchen », le côté balancé du rythme de barcarolle est perdu à cause d’un tempo un peu trop mou. À l’inverse, trop d’agitation et d’urgence dans l’accompagnement pianistique engendrent imprécision rythmique et instabilité pouvant être dérangeantes à la fois pour le chanteur et les auditeurs (sauf quand cette instabilité sert l’interprétation comme dans Rastlose Liebe, où cette fuite en avant créée une belle énergie).

Quand on est un baryton et que l’on aborde ce répertoire, l’ombre de deux grands chanteurs plane sur vous : celle intemporelle de Dietrich Fischer-Dieskau-Gerald Moore bien sûr, mais aussi celle, contemporaine, de Matthias Goerne-Christoph Eschenbach. À mi-chemin entre la lumineuse version du premier (Schubert : The Song Cycles – Die Schöne Müllerin, Winterreise & Schwanengesang, Deutsche Grammophon, réédité en 2008) et celle à la fois poétique et mélancolique du second (Schubert : Schwanengesang D.957 – Piano sonata D.960, Harmonia Mundi, 2012), incontournables monuments de l’interprétation schubertienne, Thomas Dolié et Olivier Godin proposent une interprétation du Schwanengesang certes jeune, mais convaincante.

___

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Fischerweise, D. 881 (Chanson du pêcheur, 1826), poème de Franz Xaver von Schlechta
Ganymed, D. 544 (Ganymède, 1817), poème de Johann Wolfgang von Goethe
Erlkönig, D. 328 (Le Roi des Aulnes, 1815), poème de Johann Wolfgang von Goethe
Rastlose Liebe, D. 138 (Amour sans repos, 1815), poème de Johann Wolfgang von Goethe
Der Einsame, D. 800 (Le solitaire, 1825), poème de Karl Gottlieb Lappe
Schwanengesang, D. 957 (Le Chant du cygne, 1828), poèmes de Ludwig Rellstab (lieder I-VII), Heinrich Heine (lieder VIII-XIII) et Johann Gabriel Seidl (lied XIV)

Thomas Dolié, baryton
Olivier Godin, piano Erard 1859

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