Toutes proportions gardées, Saul et David est aux Danois ce que Carmen est aux Français : c’est l’opéra national, emblématique. Evidemment, l’œuvre de Carl Nielsen est loin d’avoir fait le tour du monde, et les représentations en sont rares en dehors des frontières danoises. C’est d’ailleurs le versant comique de sa production lyrique qui a connu en premier les honneurs du DVD, avec Maskerade, mis en scène en 2000 à Bregenz par David Pountney (Capriccio). Lors du 150e anniversaire de la naissance de Nielsen, le directeur du Welsh National Opera a également été sollicité par Copenhague pour mettre en scène Saul et David, mais avec beaucoup moins de bonheur. Il nous sert la transposition obligée vers une dictature militaire proche-orientale d’aujourd’hui, Israël ressemblant ainsi fort à la Syrie, par exemple, le soulèvement de David contre Saül devenant l’offensive de Daech contre le régime de Bachar el-Assad. Kalachnikovs, tenues camouflage et immeubles bombardés, voilà ce qui constitue donc l’identité visuelle d’un spectacle qui rappelle étrangement ce dont nous abreuvent les journaux télévisés. Loin de la grandeur épique voulue par Nielsen, c’est un quotidien sordide qui nous est donné à voir, le comble étant le logis de la sorcière d’Endor, capharnaüm digne de l’intérieur des Groseille dans La Vie est un long fleuve tranquille. La scène du sacrifice donne évidemment lieu à un des ces actes de salissure désormais inévitables : une sorte de vache-qui-rit en carton-pâte descend des cintres ; Saül y plonge un couteau, puis la main, et se macule de sang le visage et la poitrine. David Pountney utilise aussi les intermèdes orchestraux pour introduire une note comique, avec six danseurs incarnant des représentants à l’ONU qui palabrent vainement pour aboutir à d’illusoires résolutions.
Dans la fosse, Michael Schønwandt dirige avec amour une partition qu’il connaît bien et dont il met en relief les qualités d’écriture, mais doit se contenter d’une distribution vocale elle aussi moins héroïque qu’on ne le voudrait. Silhouette à la Demis Roussos, Niels Jørgen Riis possède un timbre clair qui convient au personnage juvénile de David, mais paraît moins à l’aise dans les passages plus tendus d’un rôle finalement assez lourd. Il y a vingt ans, on l’aurait peut-être plutôt distribué en Jonathan, où son confrère Michael Kristensen fait de son mieux pour compenser par une articulation expressive le manque de puissance de sa voix. Les Senta, les Elisabeth et les Isolde qui composent son répertoire permettent à Ann Petersen d’assumer sans faiblir le rôle de Mikal, dont l’impériosité vocale ne coïncide pas forcément avec le personnage de jeune femme voilée et effacée qu’on lui fait jouer. Sorcière d’Endor basculée dans le quart-monde, Susanne Resmark en fait scéniquement des tonnes sans que cela affecte heureusement sa voix. Qu’il soit en vie, agonisant sur un lit d’hôpital et sous perfusion, ou revenu d’entre les morts, le Samuel de Morten Staugaard est passablement grisonnant et trémulant, ce qui lui enlève une bonne partie de son côté redoutable (David Pountney voit pourtant en lui un intégriste fanatique). Quant au Saül de Johan Reuter, ses qualités d’acteur impressionnent sans doute davantage que ses pures forces vocales, mais il n’en compose pas moins un mémorable personnage ravagé par le doute et la jalousie.