Et un de plus ! Graver le Schwanengesang est peut-être un exercice moins ardu que le Winterreise, de par son côté composite qui n’appelle pas la construction monolithique qu’exige l’architecture d’un cycle à proprement parler. Ce n’en est pas moins délicat, tant les quatorze mélodies réunies par l’éditeur Haslinger après la mort du compositeur sont d’une profonde densité et d’une complexité de caractérisation inouïe.
De nos jours, la seule réelle curiosité d’une nouvelle galette consacrée à ce « faux-cycle » réside dans le choix des pièces ajoutées pour arriver au minutage attendu. « Auf dem Strom », composé pour l’anniversaire de la mort de Beethoven et rappelant la marche funèbre de son « Héroïque », est un choix judicieux. Ecrite sur un texte de Rellstab, comme la première partie du Schwanengesang, cette ballade permet d’explorer tout le génie de l’écriture de Schubert, d’une sincérité particulièrement bouleversante pour rendre hommage à son contemporain. « Die Sterne » enfin, composé peu de temps avant le cycle (et redécouvert entre autres grâce à Fischer-Dieskau qui aimait tout particulièrement ce lied) contraste joyeusement avec l’amertume de celui-ci, malgré le voile ambigu de la nostalgie toute schubertienne.
Le dernier volet du triptyque Schubert par Mark Padmore et Paul Lewis n’a rien de surprenant. Ni dans le fait qu’il soit… ni dans son interprétation. Du moins pour le chant : Padmore est un très bon récitaliste, qui a chanté sur les plus grandes scènes et en compagnie des meilleurs pianistes, c’est indéniable. Son allemand est impeccable et tout est réellement intelligemment interprété, sans retenue. Mais après avoir entendu ses enregistrements précédents, on est frappé par le côté extrêmement prévisible de son chant. Ainsi les inflexions musicales certes louables sont entendues et confinées à une palette expressive certes généreuse, mais qu’on lui connaît trop : l’originalité en devient artificielle. La voix n’est pas toujours très belle, avec un vibrato incontrôlé, surtout dans les Lieder qui exigent plus de bravoure, comme « Aufenthalt » ou « Der Atlas ». La « Ständchen », probablement la mélodie la plus connue de Schubert, est d’une assez navrante platitude : c’est joliment chanté mais on ne croit pas du tout à la fervente adoration du troubadour. Et le « Taubenpost » pris à un tempo un peu trop élégiaque manque d’incarnation juvénile.
Saluons tout de même le piano irréprochable de Paul Lewis. Probablement un des meilleurs interprètes contemporains de la musique de Beethoven et Schubert, il cerne admirablement toutes les subtilités poétiques des détails (« Die Sterne » par exemple est remarquable) sans oublier le côté compact et organique de chaque mélodie. Son legato et sa maîtrise de la polyphonie sont imparables. Il sait exactement comment soutenir son partenaire et créer la tension nécessaire à la projection musicale. S’il ne fallait choisir qu’un seul lied dans cet album, il faudrait épingler « Der Doppelgänger » qu’il tient de bout en bout avec une tension effrayante.
La pièce en trio enfin, avec l’excellent corniste Richard Watkins, est définitivement un des plages les plus intéressantes de ce disque, par sa richesse intrinsèque mais également parce qu’elle réunit trois excellents chambristes qui en donnent une interprétation de haut vol.