Sandrine Piau a connu les temps héroïques de la redécouverte du baroque, collectionnant d’abord les petits rôles avec les Arts Florissants, dans les Indes Galantes en 1991, Castor et Pollux en 1993. En 1999, elle avait déjà assez gravi les échelons pour enregistrer un des personnages principaux de l’Idoménée de Campra. Plus récemment, elle s’est aventurée, avec succès, du côté de Haendel et de Vivaldi, mais l’on est heureux de la voir revenir à ses premières amours avec ce disque qui couvre exactement un siècle de musique française, d’un Italien à un autre, de l’Acis et Galatée de Lully au Renaud de Sacchini.
La virtuosité étincelante de l’interprète ne donne jamais ici l’impression d’être gratuite, mais est au contraire toujours mise au service de l’expressivité ; air de colère d’une reine cruelle ou lamentation d’une nymphe infortunée, tous les affects ici réunis donnent à Sandrine Piau l’occasion de déployer les différentes facettes de ses talents d’actrice, tantôt innocente victime, tantôt perfide manipulatrice. Par ailleurs, le programme concocté associe les airs les mieux connus aux découvertes absolues, qui donnent envie d’en savoir plus sur les œuvres ainsi révélées.
Avant d’être interprété sur scène et immortalisé au DVD par Magali Léger, le grand air de L’Amant jaloux avait été gravé par Sumi Jo dans son disque Carnaval ! Sandrine Piau y manifeste ici une tout autre adéquation stylistique, et émet ses aigus en série avec une aisance que plus d’une soprano lui enviera. L’extrait de David et Jonathas est bouleversant, et ferait rendre les armes aux plus rebelles à ce genre de musique. Peut-être sera-t-on moins convaincu par le « Pauvre Nise » tiré de La Bohémienne, œuvrette de Favart ressuscitée à Ambronay à l’automne 2010.
Même si le public français a surtout eu l’occasion de la voir dans le rôle comique de Nérine dans Les Paladins, Rameau est un compositeur qui convient fort bien à Sandrine Piau, et les trois airs qu’elle offre sur ce disque : virtuosité avec Anacréon, grâce aérienne de « Je vole, amour », douceur aimante avec l’ineffable « Viens, Hymen » des Indes Galantes qui conclut le disque.
L’attention est particulièrement éveillée par le Scanderberg de Rebel et Francœur, conçu autour d’un héros albanais qui avait inspiré Vivaldi en 1718, personnage historique remis au goût du jour par un roman français paru en 1732. De cette tragédie lyrique, on entend une intéressante ouverture (parmi les intermèdes orchestraux du disque, on signalera aussi la très belle ouverture du Tableau parlant de Grétry, les danses extraites des Fêtes de Ramire paraissant plus anecdotiques), et Sandrine Piau chante ensuite le magnifique air « Fureur, amour, secondez mon impatience », dans lequel la sultane Roxane prépare sa vengeance sur Amurat (noms « orientaux » qui figurent aussi dans le Bajazet de Racine). Espérons que cette œuvre nous sera un jour révélée dans son intégralité, et avec des interprètes aussi engagés !
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