Salade viennoise… C’est en effet comme « Wiener Melange » que ce récital est présenté dans le livret anglo-allemand. On y trouve en majorité des arias entendues pour la première fois à Vienne dans le dernier tiers du dix-huitième siècle, avec pour fil directeur l’idée d’air alternatif. Six des onze plages vocales (deux « respirations » orchestrales sont ménagées avec les ouvertures du Mariage secret, puis de La Scuola de’ gelosi de Salieri) sont consacrées à des morceaux de substitution, écrits par de grands compositeurs afin d’être insérés dans les œuvres de confrères beaucoup moins géniaux. C’est évidemment le cas avec Il Burbero di buon core, de Martin y Soler : comme n’auront pu manquer de le remarquer ceux qui ont eu le courage de visionner intégralement le DVD enregistré par Christophe Rousset, les deux arias composées par Mozart à l’intention de Louise Villeneuve se détachent par leur beauté et leur complexité d’une partition qui ressemble fâcheusement à un robinet d’eau tiède. Ce disque permet aussi la comparaison entre « Deh vieni non tardar » et « Un moto di gioia », le second ayant remplacé le premier lors d’une reprise des Noces de Figaro trois ans après la création.
Ce n’est pas là le récital inaugural d’une débutante, comme les maisons de disque ont de plus en plus tendance à en lancer sur le marché. Chen Reiss n’est pas une gamine inexperte propulsée sous les feux de la rampe par des commerciaux désireux de vendre de la chair fraîche. La soprano israélienne écume les scènes internationales depuis le début des années 2000, elle a eu le temps de faire ses armes, et elle a d’ailleurs enregistré deux disques avant celui-ci : un récital de mélodies italiennes de Schubert et Donizetti (Philartis, 2007) et Romanze, florilège d’airs et de lieder de Mozart, Schubert, Spohr et Lachner (Telos, 2009). En février 2010, Chen Reiss était Nannetta dans la reprise de Falstaff au Théâtre des Champs-Elysées – notre consœur Brigitte Cormier saluait à cette occasion la « fraîcheur et [la] grâce » de cette voix « légère mais bien projetée ». On a pu l’entendre dans le Requiem de Fauré en février 2011 à Pleyel, et elle reviendra au TCE en janvier 2012 pour interpréter Le Pâtre sur le rocher.
Telle qu’elle trouve à déployer son talent à travers ces airs généralement pleins de vivacité, on concédera à Chen Reiss de réelles qualités : timbre charmant, souplesse dans les vocalises, expressivité. La chanteuse sait même faire preuve d’humour, comme dans l’air du Mariage secret où elle imite les accents français, anglais et allemand (même si elle a elle-même un léger accent qui lui fait chuinter certains S en début de mots). On aura peut-être plus de mal à partager l’enthousiasme de ceux qui voient déjà en elle une Gilda d’exception. L’extrême aigu a un côté un peu tranchant qui la situe nettement du côté des coloratures, comme le montrent bien « Voi avete un cor fedel » et, en fin de parcours, l’air de concert « Ah se in ciel », créé comme intermède entre deux actes de l’oratorio de Carl Philip Emmanuel Bach Auferstehung und Himmelfahrt Jesu ; probablement écrit pour Aloysia Weber, c’est le cheval de bataille des Reines de la Nuit et autres Zerbinettes au même titre que « Popoli di Tessaglia » et « Alcandro, lo confesso ». Un disque agréable, qui ne vous bouleverse pas, mais qui est très bien chanté. Par les temps qui courent, c’est déjà ça.