Monsieur Vodnik est un vieil homme qui rentre tous les soirs du bureau pour retrouver Bobonne et ses pantoufles. Mais un jour, il en a marre, Monsieur Vodnik. A force de croiser la péripatéticienne du quartier, il fantasme sur des chairs plus affriolantes, et au terme d’une nuit de cauchemars, il poignarde Bobonne. Le lendemain matin, on vient l’arrêter et sa victime est emmenée à la morgue.
Vous avez reconnu de quel opéra il s’agit là ? Non, et c’est normal, car Stefan Herheim a décidé de réécrire entièrement Rusalka à sa manière. Si vous attendiez des nymphes et des princesses, mieux vaut aller voir ailleurs. Monté en 2008 à Bruxelles, ce spectacle a été vu à Graz et à Dresde avant d’être repris à La Monnaie en 2012 et filmé pour l’occasion, le DVD paraissant juste avant sa reprise à Lyon le mois prochain, après un passage par Barcelone en 2013. Il faut dire qu’en quelques années, Stefan Herheim est devenu une des valeurs sûres de la mise en scène d’opéra : encensé pour son Parsifal à Bayreuth en 2008, concepteur d’un éblouissant Eugène Onéguine à Amsterdam en 2011, il a été très applaudi en 2013 pour ses Maîtres-chanteurs salzbourgeois qu’on devrait voir à l’Opéra de Paris la saison prochaine. On peine pourtant à adhérer pleinement à sa vision du chef-d’œuvre de Dvořák : la féerie passe à la trappe – c’est hélas devenu la règle sur les scènes lyriques aujourd’hui – mais ce qu’on y substitue ne convainc pas pleinement. Si le dédoublement des personnages se justifiait totalement pour Onéguine, il semble moins cohérent ici : l’Ondin, que nous appelions plus haut Monsieur Vodnik, est présent d’un bout à l’autre et tout se passe dans son cerveau troublé. C’est sans doute à sa misère sexuelle qu’il faut attribuer la présence de gourgandines callipyges qui ne cessent de réapparaître en scène. Le Prince, vêtu du même pyjama que l’Ondin, est son double quarante ans avant, et la Princesse étrangère n’est autre que l’actuelle Madame Vodnik, alors que Rusalka pourrait être la jeune femme épousée quelques décennies auparavant. Rien de tout cela n’est pourtant clair, chacun meurt plusieurs fois et la partition subit elle aussi quelques tripatouillages puisque le personne du jeune Garçon de cuisine est purement et simplement éliminé (ses répliques sont attribuées aux trois Nymphes), tandis que le rôle du Garde-forestier est partagé entre un curé et un policeman.
Musicalement, l’orchestre et les chœurs de La Monnaie sont guidés par la main experte d’Adam Fischer, mais la distribution ne parvient pas à nous faire surmonter les réticences inspirées par la production. Dans le rôle-titre, ici relégué au second plan, Myrtò Papatanasiu peut certes se prévaloir de mensurations sculpturales, mais elle chante d’une voix bien dure et la tendre sirène ainsi interprétée ne suscite aucune sympathie chez le spectateur. De la compassion, il faut dire que Willard White en obtiendrait pour deux, tant l’acteur est époustouflant. Et comme le personnage n’a que des exigences vocales assez modérées, tout est pour le mieux du côté de l’Ondin. Certes confronté à une tessiture redoutable, Pavel Černoch paraît quand même souvent bien tendu, et il est lui aussi supplanté scéniquement par le vieux Monsieur Vodnik qui laisse à peine exister son double juvénile. Plus présente s’avère la Princesse d’Annalena Persson, en scène pratiquement du début jusqu’à la fin du spectacle, à la voix véhémente, sans excès de subtilités. On a connu des Ježibaba au timbre plus noir que Renée Morloc, mais la mezzo tire son épingle du jeu à travers les métamorphoses de son personnage, marchande de fleurs tantôt clochardisée, tantôt très chic (elle endosse même la robe étincelante de Rusalka au dernier acte). En DVD, on reviendra donc encore et toujours à la version de l’Opéra de Paris, pour l’élégance de la mise en scène de Robert Carsen – qu’on reverra bientôt à Bastille – et pour le crémeux de la voix de Renée Fleming, bien sûr.