La qualité première de Marie-Nicole Lemieux, c’est sa générosité. Plus qu’à la virtuosité des ornements et au raffinement de la texture vocale, c’est surtout grâce au choix des ingrédients et à la cordialité du chant que ce disque Erato consacré à Rossini, mitonné à partir d’enregistrements captés sur le vif à Montpellier en 2015 se déguste très agréablement… Certes, les premières plages consacrées à deux tubes : « Cruda sorte ! » de L’Italiana in Algeri et la cabalette « Di tanti palpiti » de Tancredi — l’opéra qui rendit Rossini célèbre du jour au lendemain — ont connu des interprètes plus inoubliables, mais c’est avec l’honnêteté qui la caractérise que la cantatrice canadienne a voulu donner une version bien à elle « capable de transmettre le soleil que Rossini apporte dans la joie comme dans la douleur ».
Conscient du challenge, Enrique Mazzola mène avec prudence l’Orchestre national de Montpellier Languedoc Roussillon. Après les exécutions à la fois appliquées et enflammées de ces deux airs célèbres, l’arrivée de Patrizia Ciofi en Amenaide introduit la théâtralité et l’émotion. Soutenues par un orchestre très présent, ces deux voix bien particulières et expressives captent tout de suite l’attention. À la suite de ce moment intense La Pietra del Paragone marque un peu le pas dans une scène sans intérêt particulier si ce n’est de faire transition avec le fameux air « In si barbara sciagura » à l’Acte II de Semiramide. En dépit d’effets sonores recherchés et des injonctions d’un Chœur des mages puissant, Arsace ne parvient pas tout à fait à incarner avec la mâle vaillance requise l’esprit de revanche implacable qui doit l’animer pour venger son père. Par ailleurs, n’aurait-il pas été plus logique de placer la scène « Amici, in ogni evento » de L’Italiana in Algeri après « Cruda sorte » ? Et, on se passerait bien des rires épais qui à l’écoute seule dérangent. En revanche, le rôle travesti d’Edoardo dans Matilde di Shabran, dernier opéra semi-sérieux écrit pour mezzo soprano, convient parfaitement à la vocalité et à la sensibilité de Marie-Nicole Lemieux. Elle s’y montre ici à son meilleur. Dans la même veine, on écoute juste après avec grand plaisir le délicieux duo de La Gazza ladra entre Pippo et Ninetta et le tourbillon instrumental qui l’anime.
Dans ce défilé de titres plus ou moins exigeants, certains très connus, d’autres moins, tout n’est pas chanté au même niveau. Ce n’est pas tant la comparaison avec d’illustres devancières qui joue en la défaveur de Marie-Nicole Lemieux mais son propre tempérament, cette bonne humeur contagieuse qui la dessert lorsque parfois un effet trop expressionniste vient surligner la musique. Pourquoi ne pas faire confiance au génie musical de Rossini ? A trop appuyer par exemple « Una voce poco fa », l’air de Rosine dans Il barbiere di Siviglia, on finit par l’écraser…
Cerise bienvenue pour alléger ce gâteau composite : Le Duetto buffo di due gatti, inspiré de Rossini, ici irrésistible de drôlerie.