Berlioz, lauréat 1830, a tellement calomnié un système qui lui avait quand même permis de passer plusieurs années en Italie aux frais de l’Etat, que le Prix de Rome est aujourd’hui synonyme du conservatisme le plus rétrograde. C’est notamment pour lutter contre ce préjugé qu’a été montée l’entreprise colossale que représente ce volume. 900 pages, 35 articles, une liste des lauréats (premier et second prix), une bibliographie, un index des personnes et un autre des œuvres, plus de cinquante illustrations… Une somme ! Tous les aspects de la question sont pris en compte : composition, mais aussi interprétation et réception des cantates, choix du sujet et rédaction du poème, enjeux administratifs et politiques, remise des prix, raisons de l’échec des candidats malheureux, jeux de pouvoir et intrigues en coulisses, parcours personnel des lauréats, séjour à la Villa Médicis, envois de Rome et carrière ultérieure…
Ce que montre fort bien ce livre, c’est que le Prix de Rome de musique était tout sauf une institution monolithique*. Si sclérosé qu’il ait pu paraître, il se révèle totalement en prise avec son époque lorsqu’on le compare aux autres concours. Tandis que la cantate s’ouvrait peu à peu à des thématiques plus « modernes » – mais toujours sur des vers de mirliton, hélas –, les sujets proposés en peinture restaient inflexiblement empruntés à l’antiquité classique ou biblique. Dès les premières années, les candidats furent invités à composer de la musique sur des textes inspirés d’épisodes historiques plus ou moins romancés. A l’héroïsme casqué et à la moralité édifiante des sujets traités par les candidats peintres et sculpteurs s’opposent les intrigues sentimentales soumises aux candidats musiciens. Si l’on invite ces derniers à évoquer dans leur partition les atmosphères les plus variées, les premiers sont voués à démontrer avant tout leur maîtrise du nu et du drapé. Et alors que le Prix de Rome de peinture ne couronne guère que des peintres « pompiers », le Prix de Rome de musique a le mérite d’avoir récompensé la plupart des meilleurs compositeurs français du XIXe siècle.
Passé la première partie, consacrée à « L’invention du prix de Rome de musique, entre classicisme et romantisme », le volume n’adopte pas un ordre chronologique, mais plutôt thématique. Les chapitres réunis dans « Epanouir ou tempérer son style musical : deux siècles de dilemme » offrent quelques exemples de compositeurs qui, de Gounod à Dutilleux, ont dû négocier entre les exigences du système et leur volonté de faire œuvre originale. La troisième partie se penche sur « Le ‘cas Berlioz’ », le plus célèbre des lauréats, qui se présenta cinq fois au concours entre 1826 et 1830. « Après le concours : rupture ou prolongement » prend en compte l’évolution des jeunes lauréats, parfois livrés à eux-mêmes à la Villa Médicis, et les difficultés qu’ils purent ensuite rencontrer pour faire carrière. « Le prix de Rome : modèle respecté ou cible des critiques ? » aborde le regard de la critique et se termine assez logiquement sur ce qu’était devenu le concours dans les années 1960, avant sa suppression par le gouvernement. En annexe, deux témoignages datant du début du XXe siècle, dus au compositeur Henri Rabaud (premier prix 1894) et au critique Pierre Lalo, fils d’Edouard. A n’en point douter, ce pavé sera désormais un ouvrage de référence indispensable sur l’histoire de la musique française.
* A lire aussi l’article que nous consacrons au Prix de Rome à l’occasion de la sortie de cet ouvrage