Questo è Rossini ! Ainsi avancée comme titre d’un disque la formule paraît bien péremptoire, voire outrecuidante. Elle n’est pourtant qu’une citation malicieuse de l’air Addio ai Viennesi, que Rossini dédia en 1822 aux habitants de la capitale autrichienne à la fin d’un séjour de quelques mois où il avait été comblé d’honneurs. Certes, le point d’exclamation n’est pas d’origine, et il a quelque chose de provocant. Mais la présence, à l’intérieur du dépliant cartonné au centre duquel se trouve le disque, du logo de la Fondation Rossini signale en quelque sorte l’imprimatur officiel reçu par la publication.
Edité par la société Iliria, comme son album Ricordanza dédié l’an dernier à des mélodies de Bellini, ce disque constitue la contribution de Maxim Mironov aux célébrations du cent-cinquantième anniversaire de la mort de Rossini. Depuis son apparition parmi les élèves de l’Accademia Rossiniana que dirigeait Alberto Zedda, ce ténor d’origine russe est devenu un spécialiste incontesté du compositeur, dont il explore sans se lasser le répertoire. Le lien internet visible au recto du troisième volet du dépliant donne accès au livret, où l’on peut lire un texte d’ Ilaria Narici, directrice scientifique de la Fondation Rossini, qui explique pourquoi le label a été attribué au disque. Non seulement Maxim Mironov maîtrise les fondamentaux techniques du chant rossinien tels qu’on les connaît par les témoignages du compositeur lui-même, mais il n’a cessé de les approfondir pour faire de ses interprétations des leçons de style. En outre le programme retenu convient idéalement à sa voix de tenore di grazia.
Composé de seize pièces il s’ouvre sur « Amori scendete » de 1821 et se referme sur l’« Addio ai Viennesi » déjà cité, dont on peut voir le fac-similé des partitions. Entre les deux des pièces d’époques diverses et huit provenant des Péchés de vieillesse entre 1857 et 1868. Précédant les textes, des introductions où l’érudition inépuisable de Reto Müller, Président de la Société Rossini Allemande, expose les circonstances, éclaire les contenus et renseigne sur les destinataires. On apprend ainsi les particularités des deux versions de la mise en musique du texte de Metastasio « Mi lagnero tacendo » – dont on aurait répertorié près de cinquante versions dans l’œuvre de Rossini – et l’on peut se délecter de l’invention du musicien comme de l’art du chanteur. Ainsi dans la version sur une seule note, que le violoncelliste Gaetano Braga affirma plus tard avoir été composée pour lui en 1866, la gageure est soutenue car l’interprète anime d’émotion ce qui pourrait n’être qu’un flux monotone sans outrer ou surligner le moins du monde. Mais la version du 29 février 1852, jour anniversaire d’un Rossini valétudinaire, vibre comme l’appel lancé par le compositeur à la Musique, qui semble alors l’avoir abandonné, car le chanteur énonce les mots avec une netteté et une conviction qui donnent une force nouvelle à des paroles rabâchées. En épousant les indications d’intensité il donne au chant un élan dont la justesse impose la beauté.
Ce qui frappe, durant ce parcours, c’est l’alliance de la fermeté et de la souplesse de la voix, qu’il s’agisse de la sensuelle « Orgia » ou de l’enfiévré « Roméo », noté allegretto agitato, peut-être suscité par celui de Gounod créé peu de temps avant et dévolu à un ténor, une nouveauté. En passant, on ne peut que remarquer la prononciation presque impeccable du français, à deux liaisons omises près, sur les cinq pièces du programme. En écho à « L’orgia » , « La danza » est la tarentelle bien connue ; Maxim Mironov en enlève vigoureusement le rythme sans en faire une ronde mécanique, mais le prélude au vertige dont l’amour sera l’issue. Le disque s’achève par cet Adieu aux Viennois qui contient la phrase « questo è Rossini », où le musicien affirme que s’il quitte Vienne il y restera dans les soupirs du vent ou le chant du rossignol. C’est la pièce la plus ornée, à l’image des airs d’opéras qui composaient le festival Rossini organisé par Barbaja. Elle permet au ténor de déployer toutes les séductions de sa technique et de combler ainsi l’amateur de prouesses vocales et de rigueur stylistique.
Bien sûr, l’autre atout indiscutable du disque, c’est le pianiste Richard Barker. Présent au festival de Pesaro dès 1994, il est lui aussi un spécialiste des opéras de Rossini. Déjà partenaire de Maxim Mironov pour le disque Bellini, il est au clavier d’un piano Pleyel semblable à celui que le compositeur possédait à Paris et sur lequel sont nés les Péchés de vieillesse. En grand musicien, Rossini ne pouvait écrire de simples accompagnements, et il s’était remis à l’étude du piano pour que la maîtrise de l’instrument assure la réussite de ses compositions tout en lui permettant d’exploiter des intuitions nouvelles. Richard Barker captive sans peine tant son jeu restitue la vie de la musique, de la nostalgie de « L’esule » à l’éclat de la « Canzonetta spagnuola ». Continuo obsédant de « Mi lagnero tacendo », arpèges brillants de « L’orgia », il est l’artificier qui crée mouvements et couleurs, dans un rapport idéal avec la voix, peut-être grâce à une prise de son qui donne une impression de proximité immédiate avec l’instrument et le chanteur. En somme, l’idéal pour de la musique de chambre ! Un très beau disque à recommander.