Au commencement, il y eut peut-être le Lohengrin de Konwitschny à Hambourg, en 1998. Tout récemment, il y eut la Flûte enchantée à Salzbourg. On ne compte plus les opéras transposés dans une salle de classe. Mais pour son Rinaldo, Robert Carsen a l’intelligence de ne pas prendre cette solution au pied de la lettre, ce qui reviendrait à s’enfermer dans un cadre trop contraignant : l’espace s’allonge ou se raccourcit avec l’envolée ou la descente d’un tableau noir, et le décor se transforme pour inclure les différents sites de la même école : garage à vélos, dortoir, vestiaire, exploitant la riche mythologie des public schools britanniques, uniformes, brimades, châtiments corporels et sports collectifs… Surtout, la mise en scène de l’ouverture montre bien qu’il s’agit d’un rêve : Rinaldo est un écolier anglais brutalisé par ses camarades, qui se moquent de son amour pour une blondinette à lunettes et à longues nattes. Le reste du spectacle est donc un rêverie qui permet au malheureux héros de se venger de ses assaillants en s’imaginant dans la peau d’un chevalier. Paradoxalement, mais selon une recette déjà appliquée par Carsen pour Alcina à Paris, cet onirisme dépouille l’œuvre de tout le côté magique (apparitions, etc.) pour lui redonner une épaisseur psychologique : maîtresse d’école sévère, Armida devient une maîtresse SM vêtue de tailleurs en latex, les sirènes sont autant de clones d’Almirena (leur multiplication donne lieu à une scène amusante), sans oublier un match de hockey particulièrement cocasses). Le résultat est un excellent divertissement, émaillé de gags et de clins d’œil, dont on sort amusé mais pas bouleversé, ce dont le livret et la partition sont en partie responsables.
Il n’existait jusqu’ici qu’un seul DVD de Rinaldo (Arthaus) immortalisant une production munichoise créée en 2000 qui n’était sans doute pas ce que David Alden avait fait de mieux en matière de mise en scène haendélienne (on recommande en revanche sans réserve son Ariodante de l’ENO, malgré la version anglaise et les coupures). Outre des choix esthétiques cultivant le hideux et le grotesque, on y trouvait un David Daniels inégalement entouré et un orchestre dirigé par Harry Bicket peu inspiré. Pour fêter le tricentenaire de l’œuvre, Glyndebourne a fait appel aux excellents musiciens de l’Orchestra of the Age of Enlightenment, en associant à leur rigueur britannique la flamme méditerranéenne d’Ottavio Dantone. Le mariage est réussi, et ce Haendel-là est plein d’ardeur et de noblesse. Vocalement, ce DVD n’offre pour ainsi dire que du très bon, voire de l’exceptionnel, mais pas forcément là où on l’attendrait. En Eustazio, Tim Mead fait valoir un timbre de contre-ténor limpide, mais le rôle est limité. Accents mordants, élégance et style, Luca Pisaroni contraste agréablement avec les basses de seconde catégorie que l’on entend souvent dans Haendel ; il faut dire qu’Argante est un personnage de premier plan, et l’on comprend que la basse italienne y déploie tout son talent. Future Fiordiligi dans la mise en scène de Michael Haneke à Bruxelles en mai-juin prochain, Anett Fritsch compose un Almirena qui n’a rien d’une oie blanche, mais son « Lascia ch’io pianga » très orné manque un peu de douleur accablée pour émouvoir pleinement. La soprano a surtout fait carrière en Allemagne (Dusseldorf, Duisburg…) et son italien pourrait être amélioré, les syllabes finales non-accentuées étant beaucoup trop marquées. Abonnée aux remplacements de dernière minute (elle fut récemment Lucia à Vienne après l’annulation de Diana Damrau, l’Américaine Brenda Rae se substituait cette année-là à Sandrine Piau dont les débuts à Glyndebourne furent repoussés pour raisons de santé. Cette soprano qui chante beaucoup à Francfort, mais qu’on verra en Pamina à Bordeaux en mai-juin 2013, après l’avoir entendue dans Radamisto au TCE en février, assure avec aplomb toutes les exigences vocales du rôle. Sonia Prina vocalise avec aisance, elle endosse de manière on ne peut plus crédible le travesti de Rinaldo, son chant est plein d’une virile ardeur, mais il ne touche guère. Tout le contraire de Varduhi Abrahamyan, dont la féminité est plus difficile à oblitérer, mais qui est un si superbe Goffredo qu’on se prend à rêver : et si on lui avait confié le rôle de Rinaldo, n’aurions-nous pas obtenu un résultat plus palpitant ? Chacun de ses airs séduit, conquiert l’attention du spectateur. Vocalement, il se passe quelque chose, parce que son chant a une beauté intrinsèque et une charge émotionnelle supérieures à celui de Sonia Prina. Elle est la révélation de ce DVD. Carmen à Toulon ce mois-ci, elle sera Néris dans Médée en TCE en décembre, avant de retrouver la Cornelia de Giulio Cesare à Garnier. Une voix à suivre, assurément.