Un des grands attraits de ce tube planétaire qu’est devenu le Stabat Mater de Pergolèse est incontestablement la rencontre de deux voix complémentaires, qu’il s’agisse d’une soprano ou d’une mezzo, comme c’est le cas dans 80% des cas (Freni/Berganza et tant d’autres), d’une soprano et d’un contre-ténor (Bowman/Kirkby, Scholl/Bonney, Lesne/Gens…), d’un enfant et d’un contre-ténor (Sebastian Hennig et René Jacobs). Rien de tel avec ces Sept dernières paroles du Christ, où la présence de quatre voix différentes ne débouche à aucun moment sur un duo. Les différentes phrases prononcées par Jésus sur la croix sont déclamés en style grégorien, chacune étant suivie d’une glose latine sous la forme de deux airs écrits pour deux tessitures distinctes, l’un pour le Christ, l’autre pour l’Ame. Jésus est interprété par une basse dans chaque Verbum sauf le deuxième, où un ténor prend le relai. Quant à l’Ame, elle est tour à tour alto, soprano ou ténor. Dans ce dialogue, chacun a son temps de parole, mais il est évidemment exclu qu’une voix s’unisse à celle du Christ, car le frottement sensuel des timbres viendrait perturber le message religieux. La souffrance qu’exprime Jésus n’est pas comparable à celle de Sa mère au pied de la croix, simplement exposée par un tiers, observateur-narrateur qui peut sans blasphème exhaler sa douleur.
Le dialogue du Christ et de l’Ame prend donc la forme d’une succession d’arias plus ou moins virtuoses, correspondant à des affects « nobles » : leçons consolatrices dispensées par Jésus, humilité et reconnaissance de l’âme (les récitatifs sont rares et toujours accompagnés). Cela n’a heureusement pas empêché Pergolèse de composer des airs parfois pleins d’énergie, à côté des passages où la douceur domine comme on pouvait le prévoir. On distinguera ainsi le robuste « Quod iubes, domine » confié à la soprano, ou l’allègre « Non nectar, non vinum » du ténor.
Orateur, prêtre et homme d’armes dans la Flûte enchantée de René Jacobs, Konstantin Wolff est un baryton-basse au timbre souple, qui prête au Christ toute la dignité et toute l’humanité que l’on attend du « personnage ». Héroïne de la récente Finta Giardiniera de Jacobs, Sophie Karthäuser sort de la réserve qui lui est coutumière pour exprimer ici une émotion palpitante, avec une grande vigueur d’accents, notamment dans « Ah ! peccatoris supplicis ». Christophe Dumaux prête son timbre mordant à la voix de l’Ame, tout en faisant montre d’une grande douceur. Nouveau venu dans l’écurie Jacobs, Julien Behr, l’un des nominés des dernières Victoires de la musique classique, montre ses qualités de ténor mozartien, déjà remarquées dans Così à Nancy cet automne, et c’est à lui que revient le mot de la fin, avec un air passionné, « Quid ultra peto vivere ». Maître-d’œuvre de cet enregistrement, qu’il accompagne d’une de ces présentations savantes dont il a le secret, René Jacobs, à la tête de la très délicate Akademie für Alte Musik Berlin, fait ressortir toute la théâtralité de ces cantates en lesquelles il voit « un oratorio méditatif et didactique », dont l’attribution à Pergolèse n’a pu être établie qu’en 2009, avec l’établissement d’une partition critique confrontant les différentes versions manuscrites.
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