Cet Anneau du Nibelung, enregistré au début des années 1980 et réédité à tarif économique en un seul coffret de 14 CD par Sony, a toujours eu mauvaise presse. « Troisième Ring intégral réalisé en studio, la version Janowski ne présente aucun des intérêts de ses rivales » peut-on lire dans le Guide des opéras de Wagner chez Fayard. Reconnaissons que la petite trentaine d’années qui nous sépare de cet avis n’a rien changé à la manière dont on considère aujourd’hui cet enregistrement. Mais regardons le verre à moitié plein, plutôt qu’à moitié vide. Ecartons les maillons faibles : la direction sans génie de Marek Janowski, la Brünnhilde poussive de Jeannine Altmeyer, le Wotan certes historique mais fatigué de Theo Adam (qui délivre là sa seule interprétation studio du rôle), le Siegfried en mal d’héroïsme de René Kollo, la Gutrune pincée de Norma Sharp, le Donner brutal de Karl-Heinz Stryczek (dont les Héda ! Héda ! Hédo » doivent être parmi les plus épais de la discographie)… La liste hélas est longue. Sachons donc plutôt apprécier ce qui fait l’intérêt du coffret, outre son prix réduit (environ 20€ en moyenne, avouez que c’est donné).
La Woglinde de Lucia Popp, tout d’abord, éclaire le prologue d’un chant radieux. L’apparition est brève mais suffisante pour illuminer la première scène de L’Or du Rhin (malgré l’Alberich bien sommaire de Siegmund Nimsgern – ah ! pardon, on avait dit le verre à moitié plein).
Siegfried Jerusalem ensuite offre de Siegmund un portrait auquel il est difficile de rester insensible. La ligne est tracée d’un trait sans bavure. Les « Walse », que l’on attend dans La Walkyrie comme on guette dans Die Zauberflöte les contre-fa de la Reine de la Nuit, possèdent bien ce souffle inextinguible. L’ardeur, l’enthousiasme, la jeunesse du personnage sont portés par un timbre plus clair que ne le veut l’habitude. Par contraste, le couple qu’il forme avec la Sieglinde de Jessye Norman, elle au contraire dessinée au bistre, n’en est que plus éclatant. De la soprano, alors au faîte de ses moyens, on admire l’égalité d’une voix qui s’étend majestueuse comme une traîne de velours, sombre puis lumineuse sans que la transition soit sensible. C’est cette même capacité de passer de l’ombre à la lumière qui, au 3e acte de La Walkyrie, rend aveuglant le cri par lequel elle accueille l’annonce de la naissance de son fils (« O hehrstes Wunder »). La présence de Kurt Moll en Hunding achève de rendre incontournable le premier acte de cette première journée de L’Anneau.
Yvonne Minton ne cherche pas à sortir Fricka des ornières de la mégère mais il s’agit d’un témoignage précieux venant d’une des plus grandes wagnériennes des années 70.
Le Mime cauchemardesque de Peter Schreier dans Siegfried retiendra l’attention de ceux qui aiment un Nibelung puissamment caractérisé, la probité du chant dût-elle en souffrir (et admettons qu’elle n’est pas épargnée).
Le Fafner de Matti Salminen est pour une fois autre chose qu’une machine à grogner les notes. Son « Du helläugiger Knabe », la dernière supplique qu’il adresse à Siegfried avant de mourir, réussit l’exploit d’apitoyer. C’est le même Matti Salminen qui, avec la même conviction contagieuse, prend en charge les humeurs noirâtres d’Hagen dans un Crépuscule des dieux aux semelles de plomb, dernier volet de l’enregistrement disqualifié par Brünnhilde et Siegfried, l’un et l’autre occupant ensemble ou séparément l’essentiel de la troisième journée du cycle.
Puis, il y a la Staatskapelle de Dresde dont l’excellence n’est plus à vanter et qui trouve là un terrain idéal pour mettre en valeur une matière sonore dont il faudrait plusieurs pages pour décrire la richesse et le raffinement. La plus belle femme du monde, malheureusement, ne peut donner que ce qu’elle a.
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Wagner: Der Ring des Nibelungen – Gesamtaufnahme | Richard Wagner par Marek Janowski