Une poignée d’instrumentistes, un soliste vocal, il n’en faut pas plus pour redonner vie à tout un répertoire de salon, loin des fastes des cours royales. Il fut un temps où les grands de ce monde, ou du moins les moyennement grands, n’avaient pas besoin d’un immense orchestre pour que leurs oreilles soient charmées, et toutes les partitions qui furent conçues pour être interprétées dans un cadre intime peuvent aujourd’hui être ressuscitées à relativement moindres frais.
Oui, mais… Les meilleures intentions n’y suffisent pas toujours. Le parrainage posthume de la duchesse du Maine (1676-1753) justifie le rapprochement en un seul disque de trois compositeurs dont on sait qu’ils ont tous trois travaillé pour la dame en question, grande mécène qui donna de somptueuses fêtes nocturnes en son château de Sceaux, notamment dans les dernières années du règne de Louis XIV. Néanmoins, si Jean-Joseph Mouret (1682-1738) fut « ordinaire de la Musique de la duchesse du Maine », si Nicolas Bernier (1664-1734) et Thomas-Louis Bourgeois (1676-1750) furent parfois sollicités eux aussi, il convient de signaler, comme le fait le livret d’accompagnement, que « les œuvres présentées dans cet enregistrement n’ont pas été expressément commandées par la duchesse du Maine et n’ont pas de lien direct avec l’activité artistique que la princesse développa à Sceaux ». Cette précision opportune est due à Catherine Cessac, auteur en 2016 d’un volume consacré à la susdite duchesse (Classiques Garnier).
Deux cantates évoquant une héroïne mythologique encadrent ici une suite pour instruments seuls, le prétexte étant que la duchesse s’attribuait le premier rôle des tragédies (parlées) qu’elle faisait représenter dans son château. Hélas, pour mieux goûter ces pièces vocales, il faut un peu oublier toutes les autres mises en musique de ces mythes que le mélomane peut connaître, et surtout les éventuels autres enregistrements auxquels ces cantates ont déjà pu donner lieu. Difficile, en effet, d’arriver après l’excellente Stéphanie d’Oustrac soutenue par l’ensemble Amarillis, pour la Médée de Bernier. Pour Ariane de Bourgeois, la concurrence d’Isabelle Desrochers est un peu moins redoutable. Face à une tragédienne de l’étoffe de la mezzo susnommée, Marie Remandet manque terriblement d’éloquence. Dans ce genre de monologue, où le personnage est déchiré par des émotions contradictoires, il faut maîtriser un art de la déclamation qui échappe encore à cette jeune soprano. Le chant paraît ici bien trop soucieux de stricte obédience baroqueuse dans l’émission du son pour vraiment émouvoir l’auditeur : il y manque la vie et l’expressivité indispensables, faute desquelles l’attention se relâche bien vite. Le problème est un rien moins sensible dans l’Ariane, mais l’on formulera ici la même remarque qu’à propos du disque que Carolyn Sampson avait consacré à des cantates de Thomas-Louis Bourgeois : face à ces œuvrettes « aimables », il est bien difficile d’éviter la monotonie, surtout si l’on croit pouvoir se dispenser des ressources du théâtre.
L’ensemble La Française sonne fort léger et ne saurait, lui non plus, rendre plus palpitants ces drames certes courts par leur durée, mais ambitieux par leur propos. Tragédies lyriques miniatures, oui, sans doute, mais la grâce et la délicatesse ne suffisent pas pour rendre justice à la dimension épique de ces héroïnes.