Les enregistrements de Poliuto restent rares, et on ne peut que se féliciter de la réédition de cette version qui réunit un trio de stars devant les micros, enregistrée en direct en 1986. José Carreras est ici un Poliuto ardent, au timbre argenté, d’une immédiate séduction, très investi dans la défense de ce rôle dont il n’a pourtant plus toutes les ressources. L’aigu et le haut médium, très sollicités, sont en effet constamment tendus, exposant les limites de la voix. Sans doute le ténor espagnol aurait-il été plus à l’aise, capté quelques années plus tôt, avant qu’il ne s’attaque à des rôles plus lourds. On pense par exemple à La forza del destino (1978), Andrea Chénier, Aida et La Gioconda (1979), La Juive (1981)… bien éloignés de son territoire naturel de ténor lyrique. Les reprises sont par ailleurs systématiquement coupées (et ce sera le cas pour tous les interprètes), nous privant des ornementations de rigueur dans le répertoire belcantiste. Tout suraigu est bien entendu absent. Un Poliuto plutôt en muscles, mais au timbre ensoleillé.
On pourra faire le même constat avec Katia Ricciarelli qui elle aussi interpréta trop tôt des rôles trop lourds. Le timbre est encore superbe, voluptueux même, mais la voix manque d’homogénéité : le bas médium est confidentiel, les aigus sont exagérément forte, et le médium davantage maîtrisé. Au cours d’une même envolée, on peut ainsi entendre ces trois types d’émission, ce qui ne laisse pas de surprendre ! Le soprano vénitien reste en revanche une authentique belcantiste quand il s’agit de colorer les sons pour offrir toute une gamme d’émotions.
Dans sa grande scène d’entrée, Juan Pons témoigne lui aussi d’une véritable technique donizettienne, avec un legato parfait, une magnifique maîtrise des demi-teintes, et un suraigu rayonnant. Il est dommage que le baryton espagnol n’ait pas persévéré dans ce répertoire, moins demandé il est vrai que le répertoire verdien qui fut le sien par la suite. László Polgár est un Callistene sans grand relief mais le rôle est anecdotique. Les seconds rôles sont impeccables, mais les choeurs de la Singakademie de Vienne manquent un peu d’ardeur, avec des ténors à la férocité peu crédible en raison de l’abus de voix mixte dans les aigus.
A la tête de l’excellent Orchestre Symphonique de Vienne, Oleg Caetani défend l’oeuvre avec enthousiasme, mais sans réelle compréhension de l’oeuvre de Donizetti, dirigée ici comme du jeune Verdi. Les coupures sont nombreuses (un bon quart d’heure de musique) : reprises des cabalettes donc, mais aussi reprises en général (ainsi de la première exposition du thème « Al suon dell’arpe angeliche », tube que l’on réentendra au finale de l’ouvrage quand les deux chrétiens sont jetés aux lions), et quelques mesures un peu partout. La battue est souvent trop martiale. Ainsi, dans le finale, on a du mal à imaginer les « harpes angéliques » qu’évoquent Paolina et Poliuto quand on entend plutôt une fanfare militaire.
Enregistré en concert public en 1986 à Vienne, le CD bénéficie d’une excellente prise de son, quoiqu’avec un peu de réverbération, captant l’ambiance électrique de cette soirée. Le public n’est quasiment pas audible, sauf par ses applaudissement nourris en fin d’actes. Sans être une référence incontournable, ce disque s’écoute finalement avec plaisir.