Christian Thielemann nous avait offert en 2009 un très remarquable Rosenkavalier, royalement distribué, dans la mise en scène pleine de chic de Herbert Wernicke fort bien captée par Brian Large. On avait le souvenir d’une interprétation toute de subtilité et de grâce, qui était même venue jusqu’à Paris. Quelle joie, alors, d’apprendre que le chef avait remis son métier sur l’ouvrage pour un CD où Renée Fleming endossait une fois de plus les robes et les fourrures de la Maréchale. Cependant, après avoir reçu l’objet, il fallut bien céder à une certaine déception : DECCA nous offre là, trois ans plus tard, la bande-son du DVD de 2009, ni plus ni moins – la jaquette même ne change pas.
L’éditeur nous dit avoir entièrement retravaillé le son de ce disque. C’est bien le moins. Et il est vrai que le résultat est étonnant. L’individualité des timbres, la profondeur du champ, l’opulence orchestrale, tout cela nous éclate aux oreilles. Nous sommes plongés dans un bain sonore qui émerveille d’abord. Mais il faut bien avouer qu’à la longue, tant de rutilante ardeur sature l’espace, la singularisation des timbres est quelque peu entêtante. Le bain sonore devient océan, et nous concevons un léger mal de mer.
Les chanteurs, eux, perdent un peu dans ce CD ce que le DVD leur donnait de présence ; il faut convoquer ses souvenirs visuels pour leur redonner toute leur chair. Cela concerne particulièrement Sophie Koch, scéniquement inoubliable, mais vocalement un peu contestable parfois. Cela vaut aussi pour Diana Damrau, un peu corsetée. Renée Fleming dispense tous les miracles de sa voix fruitée, mais une certaine impersonnalité guette. Franz Hawlata impose un Ochs madré à souhait. Les rôles secondaires sont remarquables. Mais il faut que le temps se passe pour que les voix se chauffent, que l’énergie se canalise, et c’est en définitive l’acte III qui est le plus réussi. Thielemann semble y alléger son orchestre somptueux, serrer les lignes. Le trio est étourdissant.
Il est impossible de dire que cette version est honorable, ou passable, ou excellente. C’est une version très particulière, qui porte à son comble l’artifice et la sophistication de l’œuvre, surexpose les jeux harmoniques et les mélismes si singuliers de Strauss. Solti même n’avait pas osé à ce point. C’est une version à la fois lourde et délicieuse, excessive et aboutie, haïssable et admirable.