On ne peut pas dire qu’avec Un rendez-vous, son nouveau récital chez Sony Music, Anna Bonitatibus ait choisi la facilité. Bâtir au disque un programme à partir des seules mélodies de Rossini s’avère en effet plus compliqué qu’il n’y paraît. Ces romances de salon sans prétention composées pour la plupart après les années 1830, offrent dans leur simplicité peu à nourrir. Tournures élémentaires, accompagnement de piano succinct, écriture dépourvue de virtuosité (caractéristique qui dans le bel canto rachète souvent des formules musicales sommaires)… C’est dire si les sens, pas plus que l’esprit, ne sont à la fête. Seules sortent du lot les pièces en forme de calembour ou celles qui, par leur complexité vocale peuvent s’apparenter à des airs d’opéra. Ce ne sont malheureusement pas ces mélodies là qu’a retenues Anna Bonitatibus, à l’exception de « Beltà crudele » qui, techniquement, donne davantage à exposer que les autres pages de sa sélection.
A défaut, il faut pour donner vie à ces partitions soit une voix, soit un tempérament. Deux attributs auxquels on ne pense pas immédiatement quand on cherche à décrire l’art d’Anna Bonitatibus. Non qu’elle soit une chanteuse médiocre. Au contraire ! Pas plus tard que le mois dernier, elle démontrait au Théâtre des Champs-Elysées combien elle pouvait rendre poignant l’Agnus Dei de La Petite Messe Solennelle1. Mais le timbre, dans sa nature, ne présente rien d’exceptionnel. Mat, légèrement fibreux, il ne possède ni l’éclat du soprano, ni le velours du mezzo. Modeste à l’image d’un chant qui ne cherche pas à démontrer mais plus à suggérer. Les qualités d’Anna Bonitatibus s’expriment donc en termes de nuances, de musicalité, de justesse de ton. Des traits de caractère ô combien appréciables mais insuffisants pour sortir ce répertoire de l’anecdote. Une « légende de Marguerite » toute en sensibilité (la mélodie est une resucée du « Una volta, c’era un re » seriné par Angelina tout au long de La Cenerentola), une « veuve andalouse » joliment dessinée n’y peuvent rien : l’écoute tire en longueur. Les deux notes utilisées pour l’« Ave Maria », « L’amour à Pékin », une composition sur la gamme chinoise, ne se démarquent pas de l’exercice de style. Aussi humblement interprétés, les innombrables « mi lagnero tacendo », poème de Metastasio sur lequel le compositeur du Barbier de Séville semble avoir fait un abcès de fixation, auraient raison de l’endurance du rossinien le plus aguerri.
Que ceux qui nous trouvent sévère écoutent « La partenza », mélodie que l’on connaît mieux sous le nom de « Canzonetta espagnola » et pour laquelle les comparaisons ne manquent pas : Bartoli, DiDonato, Podles, Horne, etc. On trouve chez Anna Bonitatibus du cœur, du rythme, de la prestance. Tout sauf l’essentiel : la fièvre qui, dans sa progression, fait de cette page l’ancêtre de la chanson bohème de Carmen («Les tringles des sistres tintaient »). La faute aussi à Marco Marzocchi dont l’accompagnement manque du feu qu’il aurait fallu pour que le « Rossini intime, intense et inhabituel » promis en quatrième de couverture soit vraiment au rendez-vous.
Christophe Rizoud
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