Alors que sa production mélodique en français commence à être bien connue, c’est avant tout pour nous révéler une part de son œuvre en langue russe que cet enregistrement vaut plus que le détour. Sœur de Maria Malibran, puisque toutes deux filles de Manuel Garcia, l’un des plus célèbres ténors de tous les temps, Pauline Viardot fit ses débuts comme cantatrice dès l’âge de 16 ans (créatrice de Sapho, de Gounod, de Fidès, du Prophète de Meyerbeer, écrit pour elle, de la Rhapsodie pour alto de Brahms). Elle étudia le piano avec Liszt, l’écriture avec Reicha et inspira en outre Berlioz, Chopin, Schumann, Saint-Saëns et Wagner… excusez du peu. Georges Sand la prit pour modèle en écrivant Consuelo. En 1843, elle visita une première fois la Russie, où elle chanta, outre Norma, de Bellini, Glinka et Dargomijsky. Tourgueniev lui fut très attaché, qui écrivit les livrets de plusieurs de ses opérettes. Une large part de sa production, dont les 15 mélodies enregistrées ici pour la première fois, s’appuie sur des textes russes des meilleurs poètes. A un moment où la romance douceâtre fleurit à Paris, avant que Tchaïkovski commence à écrire, nous sommes ici dans la grande tradition du lied, de Schumann tout particulièrement. La force expressive de chaque mélodie, la qualité de l’écriture, servie par deux interprètes exceptionnels, emporte l’adhésion. Leur séduction joue pleinement dès la première écoute, même lorsque la langue nous est étrangère. La fièvre de « Je l’aimais » (Koltsov), la douceur de « L’aurore » (Tourgueniev), la passion vibrante de « Invocation » (Pouchkine), il n’est pas une mélodie qui laisse indifférent. La dernière enregistrée, « Vieil homme, revêche époux », de Pouchkine, déborde de vie, de jeunesse. La joie débridée de la jeune femme qui trompe son vieux mari est communicative, un régal. Après avoir découvert avec ravissement ces quelques pièces, on espère que l’abondante production russe de Pauline Viardot nous sera restituée avec la même qualité.
Chopin connaissait et admirait la qualité des transcriptions de ses mazurkas par Pauline Viardot. Douze d’entre elles, sur des poèmes de Louis Pomey, ont été éditées tardivement, en 1864 et 1865. Connues davantage par l’enregistrement que par le concert, ce sont bien davantage que des curiosités. La réécriture de Pauline Viardot témoigne de ses qualités de compositrice et de son expérience vocale comme du piano. La liberté du chant, pleinement inspirée par les œuvres lyriques contemporaines, avec leurs cadences, leur ornementation, nous entrainent à mi-chemin de Donizetti et de Chopin, même si – évidemment – la mémoire des marzurkas dans leur version originale reste bien présente dans la mémoire de l’auditeur. L’interprétation nouvelle surpasse sans peine les versions connues.
Familière des grands rôles lyriques de Mozart à Verdi, Ina Kancheva met toute sa conviction et son talent dans ces pièces. La voix est remarquable, généreuse, d’une conduite et d’un galbe splendides, agile, admirable. Les graves sont amples, solides, et tous les registres égaux, colorés. Ludmil Angelov, le partenaire idéal au piano, fait chanter son instrument à l’égal de la soprano, et c’est un régal pour l’auditeur. Les contributions ponctuelles de Kamelia Kader, mezzo (dans deux mazurkas) et de Christo Tanev, qui ajoute le violoncelle à une mélodie sur un poème de Fet, ne déparent pas l’ensemble.
La riche notice, remarquablement documentée, reproduit les textes originaux et leur traduction anglaise.