Chaque nouvel enregistrement d’œuvres de Pauline Viardot réserve son lot de surprises. Celui-ci nous propose 27 « Deutsche Lieder », dont huit inconnus à ce jour, de quoi réjouir notre curiosité. Le titre, bien qu’exact, prête à confusion. Si Pauline Viardot composa nombre de lieder sur des textes de grands poètes allemands, entre 1863 et 1871, à Baden-Baden, le récital y intègre des pièces dont les textes ont été adaptés pour cette langue par Bodenstedt en 1865. N’y avait-il pas suffisamment matière à enregistrement dans les textes originaux en allemand ? Un rapide coup d’œil au catalogue permet d’en dénombrer pas loin d’une centaine, des meilleures plumes. Certes la plupart des mélodies ont été adaptées à des fins de diffusion dans une ou plusieurs langues. Parlant couramment le russe, concernant Pouchkine, Tourgueniev et Fet, la compositrice s’est nourrie des textes originaux. Aussi, les chanter dans une adaptation allemande, en les assimilant à des lieder, comme on devait le faire à l’époque, nous induit en erreur. Au sens moderne du terme, ce sont 17 lieder et 10 mélodies russes adaptées en allemand que propose le CD.
D’autre part, même si Pauline Viardot était une européenne cosmopolite – pour avoir vécu en de nombreux pays et s’en être approprié non seulement la langue, mais aussi le goût et la culture – son approche de textes russes, espagnols, français, italiens, allemands ne pouvait omettre cette dimension spécifique : la langue originale et ses couleurs paraîssent essentielles à nos oreilles contemporaines. On n’écoute plus « Le roi des Aulnes » par Georges Thill, accompagné par l’orchestre dirigé par Eugène Bigot.
Par-delà cette déception, le programme vaut le détour. Rien que les huit lieder sur des poèmes de Mörike, dont trois inconnus, sont propres à illustrer celui qu’elle considérait comme « le plus grand après Goethe ». Ainsi le tout premier (« Mein Fluss »), le plus ample, où le dialogue avec la nature irrigue l’inspiration. On se situe bien dans la veine schubertienne, comme dans celle de Schumann et dans leur descendance directe. Tour à tour rêveurs, exaltés, lyriques, sauvages, accablés, les lieder se succèdent, d’une invention mélodique renouvelée. Si les lignes vocales retiennent naturellement l’attention, le piano est digne de la comparaison avec celui de Schumann ou de Brahms. Les harmonies sont riches, complexes, la palette de couleurs nous conduit de pièces contrastées, légères et vives (« Die Meise, Das Vöglein, Zwei Rosen ») jusqu’à une sorte de pré-impressionnisme. Les formes vont du lied strophique, robuste, enraciné dans le terroir, à la ballade dramatique.
Le piano de Eric Schneider est superbe, dans son toucher, dans son intelligence et ses couleurs. C’est un merveilleux accompagnateur. Hélas, il n’en va pas de même de la soliste, Miriam Alexandra. Si la voix est fraîche, limpide, légère, jeune voire infantile dans sa pureté d’émission, le timbre quelconque, peu gratifiant, souvent dans le masque, la dessert. Les aigus, cristallins, l’aisance, une belle conduite de la ligne ne suffisent pas à notre bonheur. L’expression, sans être pauvre, manque de corps, de rondeur. Chacun des mots mérite d’être illustré, or ils s’alignent, plus ou moins indifférents. Pauline Viardot était une grande mezzo, avec la plus large tessiture. Sans doute écrivait-elle en relation avec sa propre voix et Il aurait été surprenant qu’elle confie ses mélodies à des sopranos légers. On attendra qu’une interprète, dotée des qualités requises, s’empare de ce magnifique répertoire et en révèle les beautés au plus grand nombre.
Le livret, qui comporte les textes des lieder, est réservé aux germanophones, hélas. D’autre part, alors qu’un catalogue systématique et bibliographique des œuvres a été réalisé par Christin Heitmann (quadrilingue, disponible sur le net), les références y font défaut.