Patrimoine national
par Jean-Philippe Thiellay
Tony Poncet appartient au patrimoine culturel de tout lyricomane. On a tous entendu son nom ; on l’a lu sur une pochette de disque, de ceux que l’on écoute rarement après l’avoir – peut-être – récupéré dans l’armoire familiale. Des œuvres enregistrées en français la plupart du temps, comme au temps de Grand Papa. Quant à l’avoir vu sur scène, il aurait fallu démarrer bien jeune car il est mort en 1979, à seulement 61 ans, après une carrière trop courte.
Né en 1918 en Espagne, la deuxième guerre mondiale, au cours de laquelle son courage au combat lui vaudra plus tard de nombreuses distinctions, a retardé la découverte de sa voix, de sa formation et de ses débuts, à Paris, au milieu des années 1950. Arnold, Eleazar, Raoul, Manrico, Canio et autres grands rôles font de lui le ténor des débuts de la Ve République, un peu à Paris et surtout dans les théâtres de province. Outre-Atlantique, sa notoriété est assurée par quelques tournées et par des Huguenots légendaires à Carnegie Hall, en 1969, où il donne la réplique à Beverly Sills, Angeles Gulin et Justino Diaz.
Les deux volumes proposés par Marianne Mélodie sont un passionnant témoignage de l’art de cet artiste et de son époque. On chante « La Tosca » et on ne donne pas « La pirra » mais « Supplice infâme ». Les partenaires, notamment féminines, sont ce qu’elles sont. Les orchestres, que la pochette ne parvient pas toujours à identifier sont, au diapason. Le choix est centré sur le répertoire de prédilection de Poncet, mais des extraits d’opérette, des sérénades espagnoles qui rappellent ses origines, et quatre airs patriotiques élargissent le champ du souvenir.
Les deux CD, bien gravés, permettent de se faire une idée assez précise du charme de l’artiste. Les particularités de son timbre séducteur sont évidentes, notamment dans le médium où on note comme un léger voile très caractéristique, qui fait penser à celui d’un Marcello Giordani aujourd’hui. La vaillance et le brio ressortent sur toutes les plages et c’est un déferlement parfois assez jouissif de décibels qui est offert par le « bombardier basque »* à qui l’écriture d’un Manrico ou d’un Canio convient parfaitement. Avec ce « fort ténor », les aigus sont impressionnants de facilité, jusqu’aux suraigus (le contre-ré qui conclut « Alma de Dios », dans le deuxième volume !). D’autres disques disponibles, notamment sur qobuz.com, permettent de se rendre compte qu’en Vincent, George Brown, en Mylio (Le Roi d’Ys), la faculté d’alléger, voire de passer en voix de tête, ne lui posait aucune difficulté, pas plus que le charme de l’opérette. On comprend l’enthousiasme du public.
Bien sûr, même en pondérant le regard que l’on peut porter aujourd’hui sur la manière de chanter l’opéra il y a cinquante ans, on est forcé de noter quelques choix – ou quelques scories – stylistiques contestables. L’abus de ports de voix intempestifs lui donne souvent un petit air déplacé de Luis Mariano. Cela convient aux mélodies espagnoles, chantées avec classe du reste, ce qui n’est pas contradictoire ; cela va moins bien à Vasco de Gama, à Raoul ou Radamès.
Avec Raoul Jobin ou José Luccioni, la France et l’opéra français disposaient alors d’une fameuse galerie de ténors, que les plus anciens se rappellent avec émotion. Dans d’autres registres, les Gérard Serkoyan, Louis Quilico, Ernest Blanc, René Bianco, Geori Boué et Andrée Esposito complétaient les distributions. Bien avant le Concorde et les allers-retours transatlantiques, ils incarnaient une certaine idée de l’opéra. Ecouter ces deux disques, c’est aussi se retourner sur notre histoire lyrique.
* Voir l’article consacré à Tony Poncet dans notre Encyclopédie subjective des ténors