Karol Beffa, compositeur, pianiste et musicologue présente un palmarès académique et musical impressionnant. Normalien, agrégé et docteur en musicologie, maitre de conférences à l’Ecole normale supérieure, diplômé de philosophie et de mathématiques, il a commis, entre autres, une biographie de György Ligetti et – pour faire lien avec l’actualité – écrit avec le « matheux » et nouveau député Cédric Villani Coulisses de la création. Par ailleurs en 2013, il obtint la Victoire de la Musique du « meilleur compositeur ».
C’est sans doute ce tableau de chasse qui lui valut d’assurer la Chaire annuelle de création artistique au Collège de France en 2012-2013 et l’ouvrage Parler, composer, jouerrassemble les sept cours qu’il a dispensés à cette occasion. Rappelons pour le plaisir, que cette année fut le théâtre d’une incroyable polémique entre Pascal Dusapin et Jérôme Ducros, que Beffa avait eu l’idée d’inviter alors à prononcer une conférence intitulée « L’atonalisme, et après ? ». Avec ironie, Ducros posait – avec une argumentation parfois discutable – une question qui certainement vous taraude : pourquoi la musique atonale n’est-elle pas populaire ? Cette provocation suscita une empoignade, digne de la querelle des bouffons. Les noms d’oiseaux, injures et mises en cause fusèrent, Pascal Dusapin traitant par exemple Ducros de prêcheur créationniste du Wyoming et allant jusqu’à demander la révocation de Karol Beffa. Si vous voulez rigoler, vous retrouverez sans peine les échanges entre les protagonistes. Je me garderai bien de mettre mon doigt entre l’arbre et l’écorce au risque de prendre quelque mauvais coup. Toutefois, je signale que j’ouvre un concours et que les lecteurs de ForumOpéra qui chantent Dusapin sous la douche sont priés de se faire connaître, video et indication de l’opus à l’appui, je me ferai un plaisir de leur envoyer une bouteille d’un excellent vin d’Anjou…
Mais revenons à la publication de Karol Beffa. L’éditeur tente de nous faire accroire qu’il s’agit d’un livre grand public. Certes, c’est un livre facile à lire au style agréable et fluide mais destiné à un public averti et féru de musique, comme vous l’êtes cher lecteur, chère lectrice. Bourré de notes de bas de pages, de références, accompagné d’une riche bibliographie, il vous fait entrer dans l’atelier du compositeur et ainsi vous comprenez non seulement la démarche de Karol Beffa mais aussi de nombre de musiciens. La leçon inaugurale citée en exergue du livre vous donne les clés des thèmes abordés dans les sept leçons, de l’improvisation au postmodernisme en musique en passant par les clocks and clouds de Ligeti. J’ai beaucoup aimé le chapitre sur l’imposture dans la création où l’absolution du plagiat apparaît comme un revigorant parcours heuristique. Enfin la leçon sur l’accompagnement d’un film muet trouve son écho avec celle sur « bruit et musique ». L’incroyable érudition, l’autorité, la distance que sait mettre Karol Beffa dans son enseignement font de ce livre une référence qui l’indique à tous ceux qui veulent aller plus loin que l’admiration passive et sensible d’une œuvre, même si la notion de plaisir – et c’est fort heureux – n’y est jamais méprisée.
Il faut signaler que ces leçons sont émaillées de nombreux exemples donnés au piano par Beffa ou d’autres intervenants et les extraits de musique contemporaine – pour certains introuvables – sont écoutables sur www.parlercomposerjouer.com et que le livre existe également sous forme epub 3.0 où l’on retrouve les mêmes extraits.