Avant que l’opérette trouve sur France Musique un défenseur en la personne de Benoît Duteurtre, les titres les plus rares avaient leur chance d’être redécouverts grâce à la Radiodiffusion française. Au milieu des années 1950, l’émission hebdomadaire « Un peu… beaucoup… passionnément », animée par Dominique Plessis et Ange Gilles, donna ainsi à entendre quantité d’œuvres légères qu’on ne jouait plus guère sur les scènes.
Le label Malibran propose en un CD trois de ces émissions, dont deux consacrées à des opérettes de Claude Terrasse, et la dernière à une personnalité infiniment moins connue : Józef Zygmunt Szulc (1875-1956), compositeur polonais venu étudier à Paris auprès de Massenet. C’est surtout dans l’entre-deux-guerres qu’il fit carrière, avec toute une série de comédies musicales. Avec La Victoire de Samothrace, nous sommes dans une comédie musicale typique des années 1920 : le titre ne renvoie pas à la statuaire antique mais se déroule dans une maison de couture, et conte sur des rythmes influencés par le jazz les amours du trottin Rirette et de Freddy. Józef Szulc venait de mourir un an auparavant quand La Victoire de Samothrace fut diffusé en 1957. En dehors des duos entre les deux amoureux, on mentionnera le chœur des huissiers, « Saisissons les caleçons des garçons », mais on glissera sur l’air du couturier Stilligman, dont les paroles embaument un certain humour xénophobe et antisémite qui ne gagne pas forcément à être ranimé. Heureusement, Denise Duval et Jean Giraudeau sont de tels artistes qu’ils parviennent à transcender les limites de cette musique.
On retrouve le même couple avec beaucoup de plaisir dans Au temps des croisades de Claude Terrasse, œuvre infiniment plus savoureuse, qui avait permis à la troupe des Brigands de faire les beaux soirs du théâtre de l’Athénée en décembre 2009. En 1901, le livret troussé par Franc-Nohain ayant été interdit par la censure, le Théâtre des Mathurins dut se contenter d’une série de représentations privées, mais il n’en survécut pas moins la valse en duo qui donna son nom à la version révisée de l’œuvre, Péché véniel. Pour le reste, le livret est truffé d’absurdités joyeusement anachroniques, comme le jeu du Pal (consistant à trouver des mots commençant par cette joyeuse syllabe chère à Verlaine et à Chabrier).
Perle de la plus belle eau, enfin, avec Pâris ou le bon juge, sur un livret dû au tandem Caillavet-de Flers, régal de cet esprit boulevardier parisien des années 1900, et dont la gauloiserie suscita les foudres de l’abbé Louis Bethléem, incarnation de la conscience morale sous la Troisième République. Diffusé en 1957, redonné à la Radiodiffusion française en février 1968 avec une distribution différente, Pâris ou le bon juge vient d’être ressuscité en septembre 2015 dans le cadre de la première édition du Festival angevin d’opéra-bouffe, manifestation à suivre. Hélas, de « cet ouvrage dont maints passages sont purement abjects », il manque évidemment ici tous les dialogues, remplacés par l’intervention des deux animateurs de l’émission, mais aussi beaucoup de musique : le final du premier acte, par exemple, et plusieurs airs, dont le très grivois « Par un soir du printemps dernier » où Vénus explique avoir été conquise par le « panache » de Mars. Enregistré dans les années 1930 par Edmée Favart, il ne fait aucun doute que Freda Betti y aurait brillé, à en juger par la pertinence de sa composition. Fils du grand Samson de l’Opéra de Paris, Jacques Luccioni est impayable dans le rôle de Sylvain, le satire-rosière. Joseph Peyron est un Pâris plus niais que possible, comme il convient. Christiane Harbell est une charmante Glycère, jusque dans la parodie du grand genre avec l’invocation de la déesse Discorde. Plutôt que de pratiquer la réanimation artificielle sur les partitions désormais inertes d’Hervé, ne vaudrait-il pas mieux monter plus souvent Claude Terrasse ?