Et une nouvelle carte postale, une ! Il y a quatre ans, c’était Rio-Paris avec Natalie Dessay, Agnès Jaoui et Helena Noguerra. Cette année, c’est Paris-Madrid, avec le même genre de pochette où la guitariste Liat Cohen et ses trois chanteurs ou chanteuses apparaissent sur quatre photos juxtaposées verticalement, au-dessus d’un montage associant la Tour Eiffel à un monument emblématique de l’autre ville visitée. Mais que fait exactement Paris là-dedans ? Eh bien, l’instrumentiste israélienne s’est établie depuis plusieurs années dans notre capitale, et plusieurs des voix ici convoquées y résident également. En résumé, donc, de la musique espagnole (ou hispanisante, puisque Ravel, Massenet et le plus inattendu Gabriel Dupont sont de la fête, aux côtés de vrais Ibères) interprétée par quatre artistes, dont deux ont de réelles origines hispaniques : le Franco-mexicain Rolando Villazón et l’Etats-unien de père italien et de mère équatorienne Charles Castronovo. De la musique espagnole plus hispanisée encore par sa transcription pour cet instrument associé à l’Espagne qu’est la guitare (parfois même pour deux guitares, en ce qui concerne l’inévitable Aranjuez de Rodrigo), hispanisations réalisées par divers arrangeurs, pour un résultat qui vaut mieux que l’image racoleuse de la pochette.
Soyons clairs : sur les trois voix, celle du ténor nord-américain est incontestablement celle qui se taille la part du lion, y compris dans les quelques mélodies françaises insérées dans ce programme très majoritairement hispanique. Rolando Villazón n’est là qu’en guest-star, sans doute parce que son nom est porteur, mais on ne l’entend guère pousser la voix seul qu’à de très rares occasions, et le plus souvent en duo ou en trio. Tout le reste du temps, c’est le timbre chaud et vibrant de Charles Castronovo qui domine. Les œuvres choisies, dont certaines un peu rabachées, lui permettent malgré tout d’illustrer divers aspects de son talent, puisque c’est à lui que revient aussi l’honneur de chanter les deux mélodies françaises un peu curieusement encastrées au milieu de ce programme : autre langue, et surtout autre style, mais l’on sait depuis longtemps que notre répertoire ne messied pas à celui qui fut Vincent dans la Mireille voulue par Nicolas Joël en ouverture de saison 2009-2010.
Dans ce disque, Sandrine Piau fait un peu figure de nymphe Echo. On la croit d’abord, tel le personnage d’Ariane à Naxos, condamnée aux sons dénués de sens, mais la dix-huitième plage du disque vient nous rassurer : la soprano française Piau n’a pas perdu sa langue, et elle n’en est pas encore réduite à articuler une seule voyelle, comme c’était le cas dans la plage une, où elle ne fait qu’entrelacer ses « Aaaa » aux paroles dites par Charles Castronovo, dans son intervention suivante, la Vocalise de Ravel, et même dans l’Elégie de Massenet, où elle introduit un contrechant inédit. Quatre plages montrent ensuite qu’elle maîtrise encore la parole, et même la langue espagnole ; encore n’est-elle autorisée à s’exprimer seule que pour trois tonadillas de Granados, les trois numéros de « La maja dolorosa ». Pourquoi tant d’injustice ? Notre compatriote ne pouvait-elle prétendre graver d’autres pages, ou bien la distinction avec laquelle elle s’empare de cette musique tranchait-elle par trop sur le côté plus brut, plus direct revendiqué par le début du programme ?
A noter : la version dématérialisée de cet enregistrement inclut trois plages de plus, dont un « Clair de lune » de Fauré où l’accompagnement de la guitare paraît plus étonnant que jamais.