Pour le plus grand bonheur de ses fans, Max Emanuel Cencic n’en finit pas de changer de tête (et de perruque) : après le turban pour Siroe, puis le look Robespierre pour Arminio, il adopte pour Ottone la moumoute « top-knot » pour se donner un air de barbare branchouille, postiche que complètent le marcel en latex et l’aigle aux aigles déployées perché sur son avant-bras, les diverses photos promotionnelles montrant bien que le volatile n’était pas empaillé. Et qu’importe si le protagoniste du livret de Haym n’a qu’un lointain rapport avec Othon II de Germanie, l’essentiel est que le contre-ténor croate trouve un nouveau support pour ses talents, et que le résultat nous permette d’entendre un opéra de Haendel qui ne se pose que rarement sur les scènes d’aujourd’hui.
Curieusement, en effet, malgré le succès phénoménal remporté à Londres en 1723, qui entraîna de nombreuses reprises (dont celle de 1734 qui permit à Farinelli de chanter pour la seule fois de sa vie dans un opéra de Haendel), Ottone reste à notre époque une rareté. Est-ce parce que le compositeur y semble surtout inspiré dans le style élégiaque ? Certes, « Falsa immagine », que la Cuzzoni refusa d’abord de chanter, en est un excellent exemple, mais L’œuvre inclut aussi bien des airs rapides et nerveux, sans oublier le duo guilleret Matilda-Gismonda qui conclut le deuxième acte, « Notte cara » et le duetto Teofane-Ottone du troisième, tout aussi allègre. Il s’est écoulé près d’un quart de siècle depuis la publication quasi simultanée, en 1993, des deux intégrales jusqu’ici disponibles, l’une dirigée par Robert King (Hyperion) avec James Bowman, l’autre par Nicholas McGegan (Harmonia Mundi) avec Drew Minter.
La présente version bénéficie d’un premier grand atout avec la direction énergique et acérée de George Petrou, qu’on a déjà eu l’occasion d’admirer dans de présents enregistrements et qui sait parfaitement transcender la froideur des studios. Il Pomo d’oro est également une des clefs de la réussite de cet enregistrement, par la précision et l’expressivité de ses instrumentistes.
Bien sûr, c’est sur les solistes vocaux que se concentre l’attention, avec une équipe où l’on retrouve un certain nombre d’artistes familiers des intégrales haendéliennes sorties chez Decca. Reprenant le rôle-titre créé à Senesino, Max Emanuel Cencic trouve un personnage de victime qui lui va comme un gant. Toujours à son affaire dans la douceur et dans la plainte, il incarne un Othon dont les émotions touchent immédiatement l’auditeur, mais les trois airs composés par Haendel pour la reprise de 1726, ajoutés en bonus, montrent que la virtuosité ne lui fait pas peur. Xavier Sabata est, lui, le bad boy de l’histoire, le traître détestable, mais bénéficie également d’une belle palette d’airs. Trouver aujourd’hui une bonne basse haendélienne s’avère souvent problématique, mais Pavel Kudinov, déjà présent dans Arminio à Karlsruhe, possède les graves caverneux que l’on attend, tout en sachant vocaliser.
Du côté des dames, trois voix bien distinctes et bien caractérisées s’affrontent. Comme Ottone, Teofane s’exprime surtout dans la lamentation, mais pas seulement. Lauren Snouffer, dont le timbre, les aigus un peu verts et le vibratello pourront ne pas plaire à tout le monde, est sans doute infiniment préférable aux voix inexpressives et standardisées que l’on entend parfois dans ce répertoire. On se réjouit de voir Ann Hallenberg rejoindre « l’écurie » Cencic pour cette intégrale. Reine cruelle et ambitieuse, mère qui préfère voir son fils mourir que d’implorer la pitié de l’ennemi, Gismonda, nouvelle Agrippina, semble faite sur mesure pour la mezzo suédoise. Elle confère toute sa complexité à ce personnage délicieusement perfide, capable de s’exprimer aussi bien dans la perfidie que dans le registre de la douceur. Intéressante découverte avec Anna Starushkevych, voix sombre et diction mordante.
On n’attend plus maintenant qu’une bonne reprise scénique pour qu’Ottone décolle et reprenne son vol.