Le chef-d’œuvre de Gluck a connu plusieurs versions, de la main de son auteur, comme de celle d’arrangeurs plus ou moins doués (Hector Berlioz étant le plus dévoué d’entre eux). Basée sur l’édition Ricordi de 1859, qui reprend peu ou prou la version Berlioz, en italien original ou retraduite (les récitatifs pour l’essentiel), cette édition traduit l’état de connaissance de ce répertoire au moment de l’enregistrement : par exemple, l’air « Addio miei sospiri » (qui existe en français dans la version Berlioz comme « Amour, viens rendre à mon âme ») est coupé, car à l’époque on croyait qu’il n’était pas de Gluck mais de Bertoni. A la tête des Virtuosi di Roma, Renato Fasano tente de rompre avec le Gluck romanticisé qui prévalait jusque là, mais on a l’impression d’entendre du Vivaldi tel qu’on le donnait à l’époque, plutôt que du Gluck tel qu’on l’interprète aujourd’hui. Le tempo reste globalement solennel (mais pas aussi mortuaire que parfois), manquant globalement d’urgence. La version donnée ici se traîne en longueur (129′, sans l’air d’Orphée précité) en raison des multiples ballets qui viennent l’alourdir (48′ de musique non vocale !) : on a l’impression d’entendre les interludes de la défunte ORTF (« Nous nous excusons de cette interruption technique : votre programme reprendra dans quelques minutes »).
Dans ce contexte, Shirley Verrett est une Orfeo de grande classe, d’une émotion réelle mais contenue, sans excès. A ce stade de sa carrière, la voix est somptueuse, mais le mezzo américain n’abuse pas de ses couleurs, préférant une certaine sobriété. Partenaire de luxe dans un rôle plutôt sacrifié par Gluck (on préférera l’air d’origine à la version tardive qui intercale un duo entre les deux couplets), Anna Moffo a pour elle la beauté de son timbre d’une séduction immédiate, mais peine à être véritablement émouvante. Judith Raskin est plus proche de certaines chanteuses baroques d’aujourd’hui, en ce sens que ses moyens limités ne lui permettraient pas de chanter grand-chose d’autre. Compte tenu de son prix modique, cette version reste un ajout intéressant à une discothèque déjà fournie en versions de référence, mais ne saurait prétendre aux premières marches du podium.