« On a autant écrit sur Wagner que sur le Christ ou Napoléon. Le meilleur comme le pire » attaque d’emblée Philippe Olivier, dans son Wagner, manuel pratique à l’usage des mélomanes. A quelle catégorie appartient ce livre publié en 2006 et que, bicentenaire oblige, une nouvelle édition vient aujourd’hui réviser et augmenter ?
Pas à celle du meilleur car le choix d’une approche lexicale, au moyen d’une cinquantaine d’entrées triées par ordre alphabétique, perturbe la chronologie, essentielle pour appréhender la pensée wagnérienne, son esthétique et son évolution : Tannhäuser après Lohengrin et, plus gênant encore, Le Crépuscule des dieux avant les trois autres épisodes du Ring. Il est de toute façon ici davantage question de wagnérisme que de Wagner. Conférencier francophone officiel du Festival de Bayreuth depuis 1998, secrétaire général de l’Union internationale des cercles Richard Wagner, Philippe Olivier nous initie moins à la vie et l’œuvre du compositeur allemand qu’à son histoire et ses rites. Pourquoi pas ? Encore eût-il fallu l’annoncer de manière explicite. Le titre laisse envisager une toute autre matière. Faut-il d’ailleurs parler d’initiation quand le discours, aussi simple soit-il, demande tout de même un certain bagage ? L’idée de départ, consistant à confronter deux salariés fictifs d’une compagnie internationale d’assurance, l’un français et néophyte, l’autre allemand et expert, ne fonctionne pas au-delà de l’introduction. D’autant que, comme on le disait, il y a fort à parier que la plupart des réponses apportées aux interrogations de notre apprenti-wagnérien le laissent perplexe s’il n’est pas déjà un minimum initié. Enfin, la révision du texte de 2006 semble se limiter à l’ajout d’une postface. Depuis pourtant, Wolfgang Wagner est mort et les cartes de la direction du Festival de Bayreuth ont été redistribuées à ses deux filles Eva et Katharina. Un certain nombre d’entrées auraient demandé à être revues à la lumière de cette actualité.
Le pire cependant est largement évité car, ainsi que son pedigree l’indique, Philippe Olivier est aujourd’hui un des meilleurs spécialistes francophones de la question wagnérienne. Le sujet de l’antisémitisme, incontournable dès qu’il s’agit de Wagner, est abordé plusieurs fois sans détours. Certains points de vue ont le mérite de l’originalité. Les arcanes de Bayreuth sont d’autant mieux déchiffrées que Philippe Olivier est un familier du Festival. Son amour de Wagner, qui plus est, n’est pas aveugle. Il sait faire la part, souvent nauséabonde, de l’homme et de l’œuvre. Un argument en faveur de cet ouvrage dont le principal défaut est finalement de déroger à la règle qu’il s’était fixée : non pas manuel pratique à l’usage du débutant mais dictionnaire amoureux pour mélomane averti.